Avez-vous déjà entendu parler de la négociation raisonnée ? Cette méthode de pourparlers permet aux parties de faire converger leurs besoins et leurs intérêts, au lieu de rester sur des postures. Pour ce faire, en s’éloignant du "je veux", les parties sont amenées à se demander "pourquoi je le veux ?"
"S’il est fréquent que deux personnes veuillent la même chose, il est rare que les deux le veuillent pour des raisons strictement identiques, explique Anne-Carine Ropars-Furet, associée chez Winston & Strawn. En déplaçant le problème vers le “pourquoi”, non seulement les demandes deviennent plus compréhensibles, mais il peut également être plus facile d’y répondre dans une négociation."
La négociation raisonnée fait partie des outils de négociation utilisés dans la médiation. Si le terme de "médiation" se comprend aisément, celui-ci mérite en réalité d’être expliqué afin de ne pas le confondre avec d’autres concepts, comme la conciliation ou le processus collaboratif. Une médiation dans les règles de l’art met autour de la table les deux parties séparées par un différend, les avocats qui accompagnent chacune d’entre elles et les préparent à être actrices de leur solution, ainsi qu’un médiateur.
Deux rôles possibles
Il est attendu que les médiateurs soient indépendants, neutres et impartiaux. Ils peuvent être comparés à des "accoucheurs", selon Antoine Chatain, avocat fondateur de Chatain & Associés. Les critères de formation et d’accréditation ne sont pas précisés par les textes. Ceux-ci peuvent ainsi venir de divers horizons professionnels et tout le monde peut se dire médiateur.
Toutefois, plusieurs organismes forment les avocats et les juristes, comme le CMAP (Centre de médiation et d’arbitrage créé par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris), l’École professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN) ou l’Institut de formation à la médiation et à la négociation (IFOMENE) qui dépend de l’Institut catholique de Paris. Des diplômes universitaires existent également. Les avocats ayant de l’expérience et/ou formés peuvent être inscrits sur les listes des institutions, comme le CMAP, le Centre national de médiation des avocats (CNMA) ou encore sur les listes de cours d’appel.
Les apprenants y abordent les différents types de conflits, les moteurs de l’interaction, les raisons des échecs de la communication. Leur sont enseignés : l’écoute attentive (langage verbal et non verbal), la reformulation, le placement idéal des personnes dans une salle ou encore comment travailler leurs voix pour faciliter le dialogue. À noter que les médiateurs n’imposent aucune solution, ce qui là encore nécessite d’être préparé.
Quant aux avocats qui accompagnent les parties, ces derniers ne sont pas nécessairement formés à la médiation. "C’est mieux s’ils le sont car avec une bonne connaissance du processus de médiation, ils vont plus efficacement pouvoir accompagner leurs clients dans la négociation et les aider à trouver avec eux de solutions business sur mesure", souligne Anne-Carine Ropars-Furet.
En ce qui le concerne, Antoine Chatain, avocat en contentieux mais aussi accompagnant en médiation, n’a pas suivi de cursus : "J’ai été formé par l’ancien bâtonnier Mario Stasi, qui était médiateur dans l’âme. Il faisait notamment de la médiation pour les confrères au sein de l’ordre. Je l’ai vu trouver des solutions amiables à l’époque où c’était assez informel et où cela paraissait impossible."
Un changement de culture nécessaire
Si les professionnels du droit se forment de plus en plus, les étudiants sont, eux, encore peu sensibilisés à la médiation au cours de leurs études. "Je pense qu’il est encore plus bénéfique de se former quand on a peu de bouteille, estime Jérôme Herbet, associé en M&A chez Winston & Strawn. Pour mettre en place les outils de la médiation, il faut avoir l’expérience du conflit, des rapports humains, avoir développé son intuition." Soit après quatre ou cinq ans d’exercice environ.
Pour sa part, Anne-Carine Ropars-Furet reconnaît la nécessité de la maturité mais estime que le développement de la médiation passe aussi par un changement de culture et que, planter les graines de l’amiable au cours de la formation juridique est absolument nécessaire.
Quant aux clients, eux aussi doivent apprendre à considérer plus aisément les modes amiables. Par exemple, Jérôme Herbet, dont l’activité principale est essentiellement transactionnelle, se sert de sa formation aux modes amiables dans son rôle d’avocat conseil en droit des affaires. "Les outils de la médiation permettent d’aller plus loin dans l’accompagnement des clients, même quand on ne fait pas de contentieux, rapporte-t-il. Par exemple, quand on négocie un contrat ou qu’il est exécuté, il y a des moments où il peut y avoir des points de divergence, que les techniques mises en œuvre dans le cadre d’une médiation peuvent aider à aplanir."
L’avocat pense également les clauses de contrat différemment. "On peut formaliser le fait de passer de façon systématique et structurée par une phase amiable avant d’aller au contentieux", ajoute-t-il. D’ailleurs, un décret de 2015 impose une obligation de tentative de règlement amiable des litiges préalablement à la saisine d’un juge.
"Nous sommes passés d’un système juridique latin où l’essentiel est de “gagner”, de “faire payer” l’adversaire à une vision plus anglosaxonne du litige, plus économique et pragmatique: 'combien ça coûte?', explique Sébastien Mendès-Gil, cofondateur du cabinet Cloix & Mendès-Gil. Beaucoup de médiations permettent de maintenir le lien ou de recréer un lien qui s’était distendu, voire rompu [...] Cet apport de la médiation pour résoudre des litiges est d’autant plus important dans de petits milieux économiques, car on peut se fâcher mais uniquement quand on est sûr de ne pas se revoir !"
Ainsi, bien que les avocats en contentieux n’aient aucun mal à aller au combat, ils doivent aussi être capables de discuter et transiger. Ces qualités sont d’ailleurs de plus en plus recherchées dans les cabinets.
Rémunérations
Les médiateurs sont rémunérés par les deux parties, sauf accord singulier. Ce qui peut être le cas si l’une des parties n’a pas encore les fonds, par exemple. En médiation conventionnelle, si les parties sont passées par un centre de médiation pour trouver leur médiateur, les modalités sont généralement prévues dans le règlement de la structure. Dans le cadre d’une médiation ad hoc, la rémunération est discutée en amont avant la signature de la lettre de mission. "Plus le médiateur pressenti a d’expérience et de notoriété, plus il lui sera facile de faire accepter son mode de rémunération ainsi que le quantum", selon le rapport du Club des juristes sur la médiation et l’entreprise.
L’enveloppe peut être définie sur la base du temps passé ou sur celle d’un forfait. En ce qui concerne les médiations judiciaires, c’est le juge qui fixe le montant de la rémunération du médiateur à l’issue de sa mission. "Dans la pratique, le juge fixe le montant d’une provision dès la nomination du médiateur", toujours selon le rapport du Club des juristes.
À noter également qu’il n’y a pas qu’une seule manière de fonctionner : les juges peuvent passer par des centres, directement par des médiateurs qu’ils connaissent ou s’appuyer sur les listes de médiateurs des cours d’appel. Lorsque les juges ou les parties font le choix d’une institution, les grilles peuvent être publiques.
C’est par exemple le cas de celle du CMAP, qui propose des forfaits pour les plus petites médiations. Au-delà, c’est un taux horaire qui s’applique. Par exemple, pour un litige national inter-entreprises de 50001 à 150 000 euros le barème horaire est de 350 euros. Il est de 600 euros pour un litige de 1 à 2,5 millions d’euros.
Pour ce qui est des avocats accompagnant en médiation, ce sont eux qui fixent leurs honoraires comme pour tout autre prestation de conseil. "C’est beaucoup plus facile pour moi de mesurer le temps que je vais passer sur une médiation (quelques réunions de médiation et la rédaction d’un contrat ou d’un protocole) que sur un contentieux qui va me mobiliser sur plusieurs années, fait valoir Carine Ropars-Furet. Par ailleurs, le principal du temps facturé est passé au côté du client lors des réunions de médiation. Il a la même montre que moi. J’ai donc beaucoup moins de contestation d’honoraires."
Une médiation de taille importante dure entre trois et neuf mois. Elle fait l’objet de cinq à six réunions d’une durée de trois/quatre heures. À cela s’ajoutent la préparation des réunions et la rédaction de l’accord.