Interview : la direction du contentieux chez Google France

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Interview : la direction du contentieux chez Google France

Benjamin Amaudric du Chaffaut, directeur juridique adjoint en charge du contentieux chez Google France.

Avocat de formation, Benjamin Amaudric du Chaffaut est directeur juridique adjoint en charge du contentieux chez Google France. Il exerce sa fonction dans un pays où celle-ci est encore peu développée. Il nous parle de ses missions et des différences culturelles constatées.

CARRIÈRES JURIDIQUES. Comment êtes-vous arrivé au contentieux ?

 

BENJAMIN AMAUDRIC DU CHAFFAUT. Quand on commence ses études, on n’a pas conscience de toutes les facettes des métiers d’avocat et de juriste. J’ai toujours voulu m’orienter vers la propriété intellectuelle et le droit des nouvelles technologies. J’ai commencé dans un cabinet d’avocats de niche, Alain Bensoussan Avocats, où j’ai travaillé en droit de l’informatique et des nouvelles technologies. Je faisais alors un peu de tout : des contrats, du contentieux et des consultations. J’ai ensuite intégré, le cabinet De Gaulle Fleurance & Associés qui venait d’être créé et je me suis de plus en plus orienté vers le contentieux en matière de propriété intellectuelle et de nouvelles technologies. À l’époque, nous  notamment pour Microsoft qui essayait de s’imposer sur les services en ligne. J’ai donc été naturellement sensibilisé aux contentieux dont avait à faire face Google et à la jurisprudence en matière de responsabilité des intermédiaires techniques par exemple.

 

Et chez Google ?

 

Quand je suis arrivé chez Google en 2008, ils cherchaient des juristes expérimentés,passés par des cabinets d’avocats et ayant des connaissances en droit de  l’Internet. Ils avaient beaucoup de contentieux et souhaitaient quelqu’un capable de coordonner tous les dossiers, d’évaluer le travail des avocats mais aussi d’élaborer des stratégies en fonction des problématiques soulevées et des produits ou services concernés.

 

Comment est organisé le traitement des contentieux chez Google ?

 

Il y a d’un côté les équipes régionales comme la nôtre. Quand je suis arrivé, j’étais tout seul en contentieux (il y avait une personne en pré-contentieux). Dorénavant, nous sommes quatre, plus un ou deux  stagiaires. En tout, dans le monde, on compte 50 à 60 juristes qui gèrent les contentieux dont une vingtaine aux États-Unis. Il y a également des équipes transversales, spécialisées dans chaque domaine, comme le droit de la protection des données personnelles ou le droit de la concurrence. Ces personnes nous apportent leurs expertises dans la gestion des contentieux. Les juristes "produits" ou product counsels ainsi que les chefs de produits aux États-Unis sont aussi impliqués. Ils sont en effet chargés de la gestion d’un service ou produit et veulent savoir par exemple s’il y a un potentiel risque juridique ou comprendre pourquoi celui-ci génère un contentieux. Nous devons tous travailler de manière cohérente.

 

En quoi consiste votre métier ?

 

Mon quotidien est très varié. Je travaille avec nos avocats, qui gèrent nos dossiers contentieux au quotidien. Nous en traitons environ 150 par an et n’aurions pas le temps et les ressources en interne pour être à chaque audience (N.B. : il est en effet possible pour les juristes de représenter leur société devant certains tribunaux sans obligatoirement passer par les avocats comme devant les tribunaux de commerce par exemple). Néanmoins, on revoit avec eux toutes les écritures et montons les stratégies ensemble. On planche également sur des accords et des transactions. On est là pour s’assurer de la cohérence de nos actions avec les besoins de l’entreprise mais aussi entre les différents pays. On s’appuie également sur les compétences en interne pour expliquer à nos avocats quels sont les derniers développements juridiques qui peuvent nous toucher et les nouveaux services ou les nouvelles fonctionnalités qui sortent régulièrement.

 

Le volet pré-contentieux est également non négligeable. Une part importante du travail consiste à aller voir les régulateurs et les autorités pour leur expliquer ce qu’on fait afin de déminer les inquiétudes face à nos activités. Par exemple, en matière de protection de la vie privée et de retrait de contenus, parfois nous devons expliquer pourquoi le déréférencement trop systématique peut nuire à un autre droit, celui de l’information. Autre exemple, l’équipe juridique assiste parfois nos collègues en charges des relations institutionnelles lors d’auditions parlementaires par exemple ou lors de groupes de travail. Il faut être proactifs. Nous sommes aussi sollicités dans le cadre d’enquêtes pénales, au titre de la coopération judiciaire.

 

Votre fonction a-t-elle évolué avec le temps ?

 

Les contentieux que l’on traite sont différents d’une période à une autre, surtout quand on travaille pour une société innovante comme Google. Quand j’ai commencé, le sujet du droit des marques et des liens sponsorisés était sur le devant de la scène. Il y avait aussi beaucoup de litiges en droits d’auteur concernant l’hébergement de vidéos sur YouTube. Maintenant, les données personnelles, avec la Cnil qui a un pouvoir de sanction et le RGPD, ont pris une place très importante, tout comme les dossiers en matière de droit des contrats ou de droit de la concurrence. Actuellement le sujet du droit voisin en matière de presseest très débattu et les éditeurs de presse ont publiquement annoncé des actions  contentieuses.

 

Y a-t-il une différence entre la culture américaine et la culture française ?

 

Traditionnellement en France, le contentieux est délégué aux avocats. Quand on parle juristes, on pense plutôt à la gestion des contrats. D’où le fait que les postes de responsables contentieux en entreprise soient peu développés chez nous, contrairement aux États-Unis où des groupes, comme Google, ont des départements juridiques dédiés au contentieux.

 

Par ailleurs, aux États-Unis, il n’y a pas de différences entre les juristes et les avocats, même si dans la pratique ce sont les avocats externes qui sont dans les prétoires et plaident les dossiers. En France, l’on peut être juriste sans nécessairement avoir le titre d’avocat et avoir exercé en cabinet même si cela devient plus rare et qu’il existe de nombreuses passerelles désormais. Beaucoup d’avocats deviennent juristes en entreprise et vice-versa.

 

Quelles compétences sont nécessaires pour être juriste en contentieux ?

 

Nous avons besoin de collaborateurs compétents, capables de parler à un juge ou aux représentants d’autorités. C’est pourquoi les expériences en cabinets d’avocats sont valorisées. C’est une très bonne école pour acquérir des méthodes, savoir absorber la charge de travail, apprécier les risques et les priorités, ne pas avoir peur d’aller au contentieux mais aussi de dialoguer quand cela est nécessaire ou utile pour l’entreprise.

 

On veut des gens convaincants mais il faut aussi faire preuve d’ouverture d’esprit, être souple et réaliste. En entreprise, vous devez être capable de prendre en comptedes intérêts divergents et des objectifs économiques. Pour ce faire, il faut avoir soft skills, comme savoir favoriser les échanges pour intégrer le droit dans la stratégie de son groupe et savoir l’expliquer aux autres départements.

 

Allez-vous vers d’autres types de règlements des litiges, comme la médiation ?

 

Nous faisons de la médiation quand un juge propose, mais cela reste marginal car peu de nos dossiers actuels s’y prêtent.

 

Néanmoins, l’Union européenne a mis en place un service de médiation en ligne pour les litiges avec les consommateurs sur internet, à partir duquel elle nous transmet les plaintes qu’elle reçoit lorsque celles-ci sont recevables. Cette plateforme est à destination des consommateurs mais une interface sera bientôt aussi imposée pour les partenaires commerciaux dans le cadre du futur règlement "P2B" ("Platform to Business").

 

Pouvez-vous vous appuyer sur des formations en interne ou externe ?

 

Quand on entre chez Google, on a quelques jours de formation en Irlande, où on nous présente la culture et la stratégie de l’entreprise. On a par la suite des réunions avec d’autres services, des update hebdomadaires ou encore des vidéos qui nous informent sur ce qui se passe au sein du groupe. Nous avons également beaucoup de formations en management ou en soft skills proposées en interne. Elles peuvent se dérouler dans de nombreux pays, pour favoriser les échanges au sein des différentes équipes et régions.

 

De mon côté, je suis membre de Cyberlex, l’association historique des avocats et des juristes spécialisés en nouvelles technologies. J’ai également fait partie il y a quelques années, quand je n’étais déjà plus avocat, de l’International Bar Association (IBA) qui organise régulièrement des conférences et séminaires. J’interviens également dans des colloques et suis chargé de cours en droit des données personnelles à Sciences Po Paris. C’est très formateur et oblige à une mise à jour régulière de ses connaissances.

 

Biographie

 

Benjamin du Chaffaut est avocat de formation, spécialisé en droit des nouvelles technologies et en propriété intellectuelle. Après avoir exercé la profession d’avocat pendant dix ans, il a rejoint Google en 2008 où il est en charge du département contentieux et Law Enforcement.

 

Dans le cadre de ses fonctions, Benjamin du Chaffaut est plus particulièrement spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, droit des données personnelles et droit de la consommation. Il a également exercé la fonction de juge consulaire au tribunal de commerce de Paris (Chambre Internationale) en 2014 et 2015.

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