Interview de S.Grynwajc, représentant de l'AFJE à New York

  • Conseils
  • Publié
  • modifié
Interview de S.Grynwajc, représentant de l'AFJE à New York

Stephan Grynwajc, représentant de l'Association Française des Juristes d'Entreprise à New York, répond à nos questions sur les LL.M. aux Etats-Unis.

 

Comme la très grande majorité des diplômés de LLM aux Etats-Unis je garde un excellent souvenir de cette année d'études. C'était non seulement l'occasion d'apprendre un autre système de droit extrèmement différent des systèmes continentaux de droit civil, mais c'était également la découverte est de la méthode socratique d'enseignement, une méthode qui privilégie la réflexion et l'interactivité dans la classe, et qui fait suite à la phase d'apprentissage des connaissances, alors que dans le système français les cours magistraux sont pour l'essentiel le lieu d'apprentissage des connaissances. C'est enfin une merveilleuse expérience culturelle et de vie dans une ville fascinante au sein d'un des quartiers historiques les plus symboliques de New York. Quant à NYU, avec plus de 430 étudiants en LLM chaque année, elle représente le plus gros vivier d'étudiants en droit étrangers aux Etats-Unis, une chance pour les étudiants de développer en des contacts professionnels très importants partout dans le monde. Une super expérience et un évident accélérateur de carrière.

Même si c'est une opinion qui n'est en rien corroborée par les faits en France, la plupart des étudiants français en LLM étant fraichement diplômés de M1 ou M2, je pense que le profil du candidat idéal est celui d'un juriste ayant terminé ses études et ayant déjà effectué une première expérience professionnelle de 2 à 3 ans. Même si c'est toujours plus difficile de repartir pour des études quand on a déjà intégré le marché du travail, je pense personnellement que c'est quand elle s'inscrit en complément d'une première expérience professionnelle qu'on apprécie le plus les enseignements très pratiques qu'on suit en faculté de droit aux Etats-Unis. C'est aussi dans cette configuration, que l'on se donne également le maximum de chances, muni de cette première expérience et du diplôme de LLM, de trouver un emploi à la sortie sur un marché américain qui privilégie beaucoup l'expérience professionnelle, une expérience que les étudiants américains acquièrent généralement en cours d'études. Il faut savoir que la moyenne d'âge des étudiants américains en dernière année de JD (la formation de base en droit aux Etats-Unis) est de 3 à 4 ans plus élevée que celle des étudiants français en LLM puisqu'ils ont également derrière eux 4 ans de College après le lycée. Soit un total de 7 ans combiné à plusieurs expériences professionnelles en cours d'études. Ce n'est pas le cas de la grande majorité des étudiants français, contrairement d'ailleurs aux étudiants des autres pays, y compris européens. Cette différence d'âge et d'expérience est un handicap ensuite sur le marché américain.

Non, pas forcément. Tout dépend vraiment de son projet professionnel. Un diplômé de LLM qui souhaite rester aux Etats-Unis et exercer le droit sur place en tant que juriste ne pourra pas faire l'économie de passer l'examen du barreau. En revanche, s'agissant des étudiants français en particulier, la plupart se destinent à une carrière en France et n'ont pas de véritable projet professionnel aux US. Du coup le barreau US devient pour eux davantage un outil de vente destiné à augmenter leurs chances de trouver un emploi au sein des grands cabinets d'avocats en Europe, et en particulier, une fois admis, de postuler à la passerelle de l'article 100 pour avocats étrangers vers la profession d'avocat en France, s'évitant ainsi l'examen, plus difficile, du barreau pour juristes "locaux" et les 18 mois de scolarité à l'EFB.

Tout le monde n'a pas le loisir (3 ans) ou les finances pour effectuer un JD aux Etats-Unis. Il faut comprendre que pour un étudiant américain le JD n'est pas vu comme un diplôme prestigieux en tant que tel, il est surtout le passage obligé, le seul, pour pouvoir exercer le droit en tant que juriste ou avocat aux Etats-Unis. Si un étudiant étranger peut effectivement passer le barreau dans certains Etats sur la base d'un LLM c'est aussi parce qu'il est déjà considéré comme titulaire d'un JD (un Master 1 en France) dans son pays d'origine. Si vous offriez la possibilité à un étudiant américain de n'effectuer qu'une année de droit pour pouvoir présenter l'examen du barreau et s'économiser du coup le temps et le coût supplémentaire de 2 années de plus de JD, qui dans tous les cas, il ne faut pas l'oublier, viennent s'ajouter à 4 ans de College au prix de prêts étudiants déjà très lourds, je n'en connais pas beaucoup qui ne sauteraient pas sur l'occasion. En effet, cela accélérerait du coup leur entrée sur le marché et la possibilité pour eux de commencer à rembourser leurs dettes. En vérité, il y a des milliers d'avocats, dont plusieurs centaines de Français, qui exercent aux Etats-Unis sur la base d'un JD étranger complété d'un LLM et d'un barreau américain. Si beaucoup rentrent sans avoir trouvé c'est davantage dû à des problèmes de concurrence, même d'autres LLM sur le marché, couplé au problème des visas de travail, et surtout au fait, pour beaucoup de ces étudiants étrangers, de ne pas savoir comment se vendre et de vendre leur valeur ajoutée efficacement sur le marché américain.

Le marché américain du droit est très différent du marché français. Les juristes américains sont dans leur grande majorité des spécialistes avant d'être des généralistes du droit. En France, on est généralement d'abord un généraliste de formation, et ensuite seulement un spécialiste du fait d'une formation universitaire complémentaire dans un domaine particulier du droit ou d'une première expérience professionnelle dans ce domaine. Aux Etats-Unis les diplômés de JD se spécialisent quasi immédiatement dans un domaine du droit à la suite de leur première expérience professionnelle en cabinet. S'ils passent ensuite, pour beaucoup en entreprise, c'est généralement sur la base de la spécialité qu'ils ont développé en cabinet.

Du coup, quand un étudiant français déjà diplômé d'un JD français arrive sur le marché américain, on attendra de lui qu'il ait déjà, à ce stade, développé une spécialité en cabinet voire en entreprise en France, et que sa formation complémentaire en LLM aux Etats-Unis, pour ceux qui auront choisi d'effectuer un LLM, soit la spécialisation que ses études généralistes en France ne lui ont pas permis d'acquérir, plutôt qu'une introduction générale au droit américain.

D'où l'importance du choix de son LLM, qui doit s'inscrire dans le cadre d'un véritable projet professionnel. En tant que "spécialiste" d'un ou plusieurs domaines du droit, le juriste américain peut ensuite travailler davantage à l'aspect marketing de ses compétences sur un marché qui est beaucoup plus concurrentiel que le marché français du fait du nombre d'avocats (plus d'un million deux cent mille juristes en activité sur tout le territoire). Le succès dépendra davantage de sa capacité à savoir se vendre que de son niveau intrinsèque de compétence.

Je pense que le parcours idéal est un Master 1 généraliste en France, suivi d'un Master 2 spécialisé, d'une première expérience significative (2 ou 3 ans) en France ou ailleurs dans cette même spécialité. Pour les juristes français qui souhaitent exercer en tant que juristes en droit américain également, ce sera ensuite, idéalement, le bon LLM, dans la bonne spécialité, délivré par la bonne université et avec de bonnes notes, suivi d'un barreau américain.

Il y a cependant de nombreuses voies ouvertes à des juristes étrangers sans un barreau américain, que ce soit en tant que Foreign Associate ou Foreign Legal Consultant en cabinet, ou en tant que Foreign In-House Lawyer dans le cadre de la toute nouvelle réglementation adoptée par l'American Bar Association en février 2013, qui ouvre le marché américain des entreprises aux juristes étrangers en leur conférant un statut protégé au niveau étatique.

L'AFJE, que j'ai l'honneur de représenter aux Etats-Unis, est la première organisation de juristes d'entreprise en France, dont elle réunit près de 4,500 des 16,000 juristes exerçant en entreprise. Pour qui souhaite investir dans le développement de sa carrière professionnelle elle est un outil indispensable. Depuis quelques années maintenant l'AFJE est très présente à l'international, et en particulier aux Etats-Unis grace à un certain nombre de partenariats privilégiés avec des associations locales de juristes, dont l'American Bar Association, qui réunit près de 400,000 practiciens du droit à travers les Etats-Unis. Grace à ces partenariats l'AFJE oeuvre au quotidien à promouvoir le droit français et la profession de juriste d'entreprise français aux Etats-Unis, mais aussi à faire en sorte que les juristes français omis de la profession d'avocat du fait de leur passage en entreprise, ou tout simplement juristes d'entreprise de formation, puissent avoir accès à la réglementation pour juristes d'entreprise étrangers aux Etats-Unis quand bien même ils ne sont pas inscrits en tant qu'avocats en France. Un juriste français membre de l'AFJE et titulaire d'une "attestation de good standing" de l'AFJE, pourra voir sa formation et son expérience de juriste en France reconnues aux Etats-Unis aussi bien au niveau des barreaux et associations locales de juristes qu'auprès des professionnels du droit aux Etats-Unis.

Oui, au quotidien, dans le cadre de ma mission au service de l'AFJE mais aussi dans le cadre de partenariats avec des organismes tels que la Chambre de Commerce Franco-Américaine à New York, voire d'actions ponctuelles avec le Barreau de Paris, j'organise régulièrement des initiatives de mise en relation des étudiants français en LLM, mais aussi de juristes d'entreprise français avec la communauté des entreprises françaises et des practiciens français du droit aux Etats-Unis, afin de faciliter leur insertion sur le marché du travail. J'organise également chaque année des conférences dans plusieurs universités à NY et à Washington afin de conseiller ces mêmes étudiants et juristes sur la meilleure façon d'appréhender et de se positionner sur le marché américain en tant que juriste étranger.