Exercer la profession d'avocat en Asie, l'exemple du Vietnam par Me. Chazard

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Exercer la profession d'avocat en Asie, l'exemple du Vietnam par Me. Chazard

Maître Caroline Chazard exerce en Asie du Sud Est depuis 2002 (au Vietnam et à Singapour).  En 2010, elle fonde le cabinet FIDAL ASIATTORNEYS basé à Ho Chi Minh Ville, avec Maître Albert Franceskinj et FIDAL société d'avocats.

Quel a été votre parcours étudiant ?



Sortie de l’ESG un peu jeune (21 ans), j’ai souhaité compléter mon diplôme (option International en 3e année) avec une formation complémentaire solide. Ayant apprécié le droit à l’ESG par son aspect très pratique dans le cadre de la vie d’entreprise, j’ai déposé un dossier à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Là, j’ai obtenu une équivalence pour passer le DEUG en 1 an puis ai suivi le parcours classique licence + maîtrise en m’orientant naturellement vers le droit privé des affaires. J’ai finalement obtenu une maîtrise en Droit privé des Affaires, mention carrières judi- ciaires, puisque je souhaitais préparer le CAPA (Certificat à la Profession d’Avocat).


Après avoir passé les concours et suivi une formation complémentaire à l’Ecole de Formation du Barreau (EFB), j’ai commencé à exercer dans des Cabinets orientés Droit des Affaires, où j’ai traité principalement des dossiers de Droit des Sociétés, Contrats et Droit du Travail.


Pourquoi avez-vous décidé de partir exercer à l’étranger ?


J’avais besoin d’air et de hauteur, et une envie d’être dans un environnement plus dynamique, au milieu de gens qui ont vraiment envie de travailler. Déjà il y a 11 ans, on sentait un certain pessimisme en France, et je voulais évoluer dans environnement en progression.

J’ai d’abord commencé en tant que collaboratrice en acceptant un salaire deux fois moins important que celui que j’avais auparavant en Europe. Puis je me suis vue confier les aspects financiers et de gestion du cabinet. Je suis finalement devenue associée en charge des bureaux de Singapour puis de Hanoï avant de monter mon propre cabinet, Fidal Asiattorneys, en partenariat avec Fidal à Ho-Chi-Minh Ville. En 8 ans, je suis passée du statut de collaboratrice à celui d’associé fondateur d’un nouveau cabinet, même si je ne l’avais pas du tout prévu ! Cette accélération de parcours se produit plus à l’étranger qu’en France : dès que l’on est dans un environnement décloisonné, où l’expérience, le savoir faire et le potentiel sont valorisés, les opportunités sont nombreuses.


Quels conseils donneriez-vous à un confrère ou un juriste qui souhaite s’expatrier en Asie ?


Il faut démarrer avec humilité. A l’époque, j’ai donc accepté de baisser sensiblement mon salaire pour partir au Vietnam. C’est encore le cas, dans des proportions moindres cependant, car de manière générale, il y a de moins en moins de contrats de travail expatriés, et de plus en plus de contrats locaux. On n’a plus besoin d’attirer les gens pour aller à l’étranger : il y a désormais plus de demande que d’offre ! Malgré le coût de la vie plus bas au Vietnam qu’en France (même si ce dernier a augmenté de manière significative), il y a généralement un sacrifice de montant de rémunération à accepter en arrivant là-bas. Par contre, l’on évolue beaucoup plus rapidement, et l’on peut se voir confier des fonctions qui ne correspondent pas forcément à notre expérience passée. En France, on est très catégorisé sur un type de profil.


J’ai fait un double parcours école de commerce et droit ; ça commençait à se faire à l’époque, c’est beaucoup plus répandu maintenant. D’autres doubles diplômes se développent, avec l’ingénierie ou la santé par exemple. Les formations ne sont plus aussi linéaires qu’à l’époque, et les passerelles de plus en plus nombreuses. Etre formé en droit et avoir une autre compétence est toujours une plus-value par rapport à quelqu’un qui n’est « que » juriste. Il ne faut plus avoir peut de se tromper d’orientation car l’on peut suivre des formations parallèles, il faut exploiter les passerelles offertes entre les différentes filières.

 

Comment se distinguer pour une première expérience à l’étranger ?


Etre déjà sur place est important car le contact visuel avec le recruteur est primordial, dans la mesure où, nous par exemple, ne proposons que des stages d’au moins 6 mois ; nous voulons donc être sûrs de nous entendre avec la personne. Ensuite, il faut avoir un attrait particulier pour la culture locale, éventuellement des origines asiatiques ou parler la langue du pays. Enfin, il faut avoir un profil de très bon niveau, avec notamment une double-compétence dans un secteur d’industrie.

En outre, les « centres d’intérêt » ou « activités annexes » renseignent plus qu’on ne le croît sur la personnalité du candidat ; évitez donc d’en faire une rubrique fourre-tout ou générique. Par exemple, si vous aimez vraiment lire et le cinéma, ne vous contentez pas d’indiquer « cinéma,  lecture »… précisez vos goûts en termes de genre, d’auteur, de réalisation, de période…

 

Un LLM est-il nécessaire pour une carrière en Asie ?


Ça donne une étiquette qui plaira aux cabinets anglo-saxons, et ça permet d’avoir une double-culture. La pratique de l’anglais est aussi de plus en plus importante dans notre pratique quotidienne, y compris avec des sociétés françaises, et le fait d’avoir suivi un LLM le garantit en partie. Par ailleurs, je recommanderais aux étudiants en fin de cursus de préférer un LLM qui apporte une formation plus pragmatique et proche de la réalité de la gestion d’un cabinet que de réaliser un doctorat, à moins que ces derniers ne souhaitent évoluer dans de gros cabinets qui disposent d’unités de recherche bien établies pour lesquelles ce type de profil est adapté.

En savoir sur les LLM : ici

Existe-t-il un marché de l’emploi pour des profils expérimentés ?


En fait, il y a deux profils : soit on a déjà vécu à l’étranger et l’on a conservé un réseau dans un pays précis, soit il faut exercer dans un cabinet qui a déjà des bureaux à l’international ou qui a une volonté de se développer à l’international, et dans ce cas l’on peut bénéficier d’un transfert interne. En dehors de ces cas-là, pour des profils expérimentés, si l’on n’est pas prêt à (ou que l’on ne peut pas se permettre)des sacrifices importants, c’est beaucoup plus difficile. Dans tous les cas il est important de comprendre que le boom de la croissance, notamment en Asie du Sud-Est, profite avant tout aux locaux et non aux expatriés.

Quelles sont les différences d’exercice de la profession en Asie ?


La différence majeure est que l’on ne plaide plus, on n’a plus qu’une activité de conseil, à part quelques cas d’arbitrage. D’autres part, ici, les clients ne s’arrêtent pas à la simple prestation juridique, le service va bien au-delà du conseil juridique, on est interrogés dans leur stratégie, on les accompagne dans leurs projets personnels. On leur fait aussi une introduction aux pratiques culturelles du pays, les pratiques des affaires. On les aide à s’introduire dans le milieu des affaires C’est un accompagnement encore plus personnalisé qu’en France au sens où l’on entre dans la vie privée du client, un peu à l’américaine. Le revers de la médaille est que la frontière entre vie privée et vie professionnelle n’existe quasiment plus. Les clients deviennent copains, les copains deviennent clients. C’est l’Asie. Les clients, surtout asiatiques, appellent très tôt le matin. Une fois, j’ai reçu un appel le dimanche à 6h du matin pour nous demander d’organiser une due diligence dès 8h le lendemain. Avec le décalage horaire, on a parfois des entretiens avec des clients en Europe, même s’il est 22h30 pour nous. Par contre, ce qui est très intéressant, comme c’est une zone en pleine expansion, l’on voit naître beaucoup de projets. C’est très gratifiant d’être sur du conseil en accompagnement et financement de projet, très constructif, c’est dynamisant.

J’ai eu l’occasion de parler de la pratique de noter métier en Asie du Sud-est avec la journaliste Delphine Iweins : ici.



Le Vietnam a été mis à l’honneur en 2013, avec l’organisation de Campus Asie en avril où des avocats du Barreau de Paris se sont déplacés à Ho-Chi-Minh Ville et qui a permis de lancer un chantier de réflexion sur la coopération des avocats entre la France et le Vietnam. Que pensez-vous de ces nouveaux échanges et dans quelle mesure sont-ils porteurs de renouveau pour la profession ?


La coopération juridique France-Vietnam a été qualifiée d’exemplaire par une représentante de l’Ambassade de France à Hanoï. Au mois de juillet 2013, une délégation de l’EFB s’est rendue à Hanoï. Il y a différents axes de coopération juridique, avec des Masters, comme le Master 1 & 2 de Droit des Affaires Internationales de Paris-II, le Master II de Lyon III et Toulouse, la formation des avocats Vietnamiens par l’EFB, et sur la thématique de la médiation à venir en partenariat avec le Barreau de Paris.

 
Concernant Campus Asie plus particulièrement, une soixantaine d’avocats du Barreau de Paris avait fait le déplacement. Ce qui a été très apprécié par les Confrères de la région, à l’activité et d’horizons divers. Avec tous les avocats venus d’Asie, nous étions 150 en tout ! C’était très agréable de se retrouver, de ressentir cette communauté de métier, et impressionnant de se rendre compte que des avocats aussi variés avaient des problématiques communes.

Un suite a d’ailleurs pu être donnée par la création d’une Commission Vietnam au Barreau de Paris, qui s’est réunie pour la première fois le 5 juillet dernier. La 1ère édition consistait en un témoignage de trois chefs d’entreprises, qui ont apporté leur vision pratique de l’économie du pays. Je suis également intervenue pour faire une présentation juridique de l’exercice de la profession d’Avocat au Vietnam et du Droit des affaires. La prochaine réunion aura lieu en octobre. Egalement dans le cadre du Campus, à Paris cette fois, deux sessions nous étaient réservées, une sur le retour du Campus Asie, et une autre sur une présentation du Vietnam, avec le Centre culturel du Vietnam à Paris.


L’objectif de ces actions mises en place par le Barreau de Paris est d’abord de présenter l’exercice de la profession en tant qu’avocat français au Vietnam, et ensuite de sensibiliser nos confrères à l’environnement des affaires au Vietnam. En effet, ce qui freine les entreprises actuellement est un manque de confiance, mais dès lors qu’ils ont à leurs côtés des professionnels qui peuvent les accompagner en français, une bonne partie du chemin de l’internationalisation de l’entreprise est fait. Par ailleurs, et comme le rappelait Mme le Bâtonnier dans le Bulletin du 11 juin 2013 : « Le rôle des avocats est encore trop souvent conçu comme lié au procès, sinon cantonné à la gestion du problème alors que leur valeur ajoutée est tout autant dans la prévention des risques et des difficultés. Tous les domaines du droit sont concernés, de même que tous les types d’intervention: l’achat ou la location d’un local, le dépôt d’une marque ou d’un brevet, la participation à un salon professionnel, la rédaction des contrats notamment de travail, le choix d’un régime fiscal ou d’un partenaire commercial. Comme l’expert-comptable apporte de la sécurité dans la tenue et la présentation des comptes, l’avocat conseil d’entrepreneur apporte une sécurité dans le choix, la compréhension et l’application de la norme juridique dans l’entreprise. ».  En ce sens, l’avocat est un acteur du développement international des entreprises et du commerce extérieur de la France.

 
Nous devons sans cesse développer notre rôle auprès de nos clients et être des partenaires stratégiques pour les accompagner au mieux et grandir avec eux.