Fabienne Havet : « Faire appel à un avocat est un investissement pour l'entreprise »

Fabienne Havet : « Faire appel à un avocat est un investissement pour l'entreprise »

Fabienne Hayet connaît l’univers business. Après six ans à la direction juridique de Christian Dior, elle décide de rejoindre l’avocature. Forte de son expérience en entreprise, l’avocate assure à elle seule la direction juridique de ses clients, les PME. 

Carrières-Juridiques.com. Vous avez été directrice juridique, vous êtes aujourd’hui avocate. Pouvez-vous revenir avec nous sur votre parcours ?


Fabien Havet. J’ai débuté ma vie professionnelle en entreprise. Après dix ans en direction juridique, dont six ans comme directrice juridique chez Christian Dior, j’ai bénéficié de la passerelle pour devenir avocate en 1997. En raison de mon expérience, on m’a vite proposé une mission d’audit juridique dans une entreprise. Je me suis retrouvée à faire en externe la même chose que je faisais en interne, lorsque j’étais directrice juridique. Avec quelques différences : mon statut d’avocat me permet de bénéficier du secret professionnel, de la confidentialité et d’avoir une certaine distance. L’entreprise en question  s’est vite rendu compte de son besoin récurrent en matière juridique. C’est à ce moment que j’ai décidé de m’installer à mon compte (1).


C-J.com. Aujourd’hui, vous proposez une sorte de direction juridique externe aux entreprises...


F. H. C’est ça. Mon passage en entreprise, m’a permis de développer une vision large du business. Je travaille aux côtés de PME. N’ayant pas les moyens d’embaucher une personne à temps plein, ce sont les première à externaliser leur direction juridique. Il ne s’agit pas de diriger une armée de juristes, comme le font les grandes entreprises, mais de se pencher sur le quotidien, le concret. C’est ce qui m’intéresse. L’idée est de mettre en perspective la stratégie globale avec plusieurs aspects concrets, comme l’organisation quotidienne.


               "Les économies générées 

                  sont rapidement visibles."


C-J.com. Justement, en quoi consiste votre activité au quotidien ?   


F. H. Le travail du juriste permet d’éviter un certain nombre d’erreurs. Celles-ci peuvent coûter cher aux entreprises : une assurance qui ne prévoit pas les protections adéquate, une marque non protégée, une clause de contrat commercial mal négocié, une clause oubliée dans un bail… les exemples ne manquent pas. Faire appel à un juriste est souvent une dépense difficile, mais j’essaye d’expliquer que c’est surtout un investissement. À cela s’ajoute l’accompagnement juridique quotidien du développement de l’entreprise, via des audits, ou la gestion courante (contrat de travail, conditions générales de ventes). C’est une mission qui  nécessite d’être au cœur de l’entreprise, d’en comprendre le quotidien, d’interroger les personnes qui y travaillent. Je me déplace très souvent dans les locaux. Ce que je souhaite avant tout, ce sont des relations à long terme, mais parfaitement paramétrables aux besoins de l’entreprise. Nous travaillons généralement sur des modules annuels. Et les économies générées sont rapidement visibles. L’intervention peut aussi être ponctuelle, pour accompagner un projet de cession ou d’acquisition par exemple.



C-J.com. Craignez-vous comme certains que les directions juridiques ne se délocalisent de plus en plus vers l’étranger en raison de l’absence de legal privilege des juristes français ?


F. H. C’est vrai que les directeurs juridiques peuvent travailler à distance. Mais cette question touche surtout les grandes entreprises. Dans les PME, la rationalisation des coûts ne passe pas par là. Le juriste doit être proche de la réalité et du quotidien. C’est bien de vouloir alerter, mais je pense que cela ne concerne que très peu d’entreprises.


C-J.com. L’absence du legal privilege pour les juristes d’entreprises n’est donc pas si problématique selon vous ?


F. H. C’est un faux débat. Les avocats bénéficient du legal privilege. Cela signifie qu’ils sont responsables civilement. Je ne suis pas persuadée que les juristes soient prêts à supporter cette responsabilité. La notion de responsabilité face à son employeur est totalement étrangère au droit du travail français. L’entreprise sera toujours responsable des erreurs réalisées par ses salariés, legal privilege ou pas pour les juristes, sauf si l’évolution de leur statut leur conférait l’indépendance et la responsabilité (2). Le legal privilege apparaît comme une protection mais peut se révéler source de conflits à défaut d’autres outils adaptés pour donner au juriste d’entreprise l’autorité qui ne lui est parfois pas reconnue. Sur ce point, tout serait à construire.

 

C-J.com. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes avocats qui comme vous, aimeraient faire de l’externalisation de direction juridique pour des PME ?


F. H. La plupart des avocats n’ont pas de vision en matière de business et ne connaissent pas l’entreprise pour la simple et bonne raison qu’ils n’y sont pas formés. Pour ma part, j’ai suivi une double formation, en droit et en économie : je suis diplômée d’Assas en droit américain des affaires, mais aussi de la section économique et financière de SciencesPo. C’est un atout. Il est important de connaître l’univers économique, ne serait-ce que pour savoir ce qu’est un produit, ou ce qu’est le marché.  Pour comprendre un contrat, il est indispensable de rentrer dans son économie. Je suis persuadée que la formation en économie est la clé pour les futurs avocats. Ce n’est pas la seule. Je pense qu’un cursus international est aussi un atout pour pouvoir se faire une place dans la profession. Et bien sûr, une expérience en tant que juriste interne en entreprise sera un préalable nécessaire avant de se lancer.


              "La plupart des avocats n’ont
         pas de vision en matière de business." 


C-J.com. Comment voyez-vous l’avenir ?


F. H. J’ai refait une incursion en entreprise en 2008 et 2009, car j’avais envie de travailler en équipe. Je suis finalement revenue vers l’avocature. J’aime exercer dans une niche qui me permet d’être au plus près des entreprises, en immersion dans le business avec les équipes. J’envisage à l’avenir de m’associer : on a tous besoin d’un travail d’équipe pour se remettre en question. Cela me permettra par ailleurs de proposer à mes clients une structure intégrée avec des confrères spécialisés en cas de besoins.

 


Propos recueillis pas Capucine Coquand

@CapucineCoquand


(1) : Site internet du cabinet de Fabienne Havet.

(2) : Sur le même sujet,  « Le legal privilege n’est pas indispensable à l’activité du juriste d’entreprise », rencontre avec Cécile Dekeuwer