« Le legal privilege n'est pas indispensable à l'activité du juriste d'entreprise », rencontre avec Cécile Dekeuwer

« Le legal privilege n'est pas indispensable à l'activité du juriste d'entreprise », rencontre avec Cécile Dekeuwer

Cécile Dekeuwer n’est pas une avocate comme les autres. Avant d’ouvrir son cabinet de juristes internationaux à Lyon en 2012, elle exerce en tant que responsable juridique au sein de plusieurs grands groupes. Son expérience lui permet de porter un avis critique sur l’actualité.   

Carrières-Juridiques.com : Avocat, juriste d’entreprise puis à nouveau avocat, pouvez-vous nous expliquer les grandes lignes de votre parcours ?


Cécile Dekeuwer : J’ai tout d’abord suivi le DJCE de Poitiers en droit fiscal et sociétés. Dans le cadre de cette formation j’ai réalisé mon premier stage en entreprise. On m’a alors conseillé de passer le CAPA, ce que j’ai fait. J’ai commencé ma carrière d’avocate à Paris, puis je suis partie en Corée du Sud. J’ai très vite été gênée par le corporatisme inhérent à la profession d’avocat. J’ai donc choisi de retourner dans le monde de l’entreprise et j’ai intégré les entreprises LG puis Casino en tant que responsable juridique. Lorsque je quitte le groupe Casino en 2011, je décide de créer ma propre société d’avocats.


Mon expérience de juriste me sert au quotidien. Elle me permet de mieux comprendre les problématiques des entreprises et  les attentes des juristes qui sont aujourd’hui mes clients. J’ai l’avantage d’avoir joué le rôle de client et de fournisseur.

 


Carrières-Juridiques.com : A-t-il été difficile de quitter le monde de l’entreprise pour ouvrir votre propre cabinet ?


C.D : Le monde de l’entreprise ne permet pas de travailler de façon indépendante. J’avais besoin de me libérer de ces liens de subordination en créant ma  propre structure. Cette liberté apparente du monde libéral n’est pas si facile. En entreprise les risques que vous pouvez prendre en tant que juriste sont limités. Lorsque vous avez votre propre cabinet vous n’avez plus aucun filet de secours.


La première difficulté concrète que j’ai rencontrée a été la recherche de clients. Cette notion de prospection n’existe pas pour le juriste. Aujourd’hui, mon expérience de juriste m’aide à convaincre les entreprises de me faire confiance pour les représenter. 

 


Carrières-Juridiques.com : Pensez-vous qu’il faille accorder le legal privilege aux juristes d’entreprises ?


C.D : Un juriste est amené à soutenir juridiquement l’activité de son entreprise et à conseiller en interne. Son rôle est différent de celui de l’avocat. Dans mon cas le legal privilege n’aurait pas été utile. Il n’est, à mon sens, pas indispensable pour l’activité du juriste d’entreprise. Il est vrai que le juriste souffre parfois d’une image négative au sein de l’entreprise. Il est considéré comme un « centres de coûts » et non comme un producteur de business.  Je pense que l’acquisition du legal privilege ne changera pas son image au sein de l’entreprise. Le legal privilege est intimement lié à l’avocat. Il faudrait plutôt réfléchir au rôle du juriste pour changer les mentalités au sein de l’entreprise.

 


Carrières-Juridiques.com : Vous étiez donc favorable au projet d’avocat salarié en entreprise abandonné par la commission spéciale à l’Assemblée Nationale ? 


Je ne suis pas favorable à l’idée de créer une distinction entre les juristes ou avocats en entreprise et les avocats libéraux. L’idéal serait de créer une grande profession du droit. L’avocat devrait pouvoir exercer en libéral ou pour le compte d’une entreprise, comme en Allemagne et au Canada. Je suis persuadée que la profession doit évoluer vers le monde de l’entreprise. Les juristes d’entreprise doivent également accepter de se former comme des avocats avec les exigences et les coûts que cela implique. Cette évolution passera inévitablement par la formation. Aujourd’hui, la formation des avocats ne prépare pas suffisamment au monde de l’entreprise. L’expérience de l’entreprise est pour moi indispensable aux jeunes avocats qui se destinent au droit des affaires. Ils y apprendront par ailleurs le travail en équipe et le management indispensables à notre profession.



Propos recueillis par Capucine Coquand