« Un juge des enfants doit avoir les nerfs solides »

« Un juge des enfants doit avoir les nerfs solides »

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Laurent Gebler, vice-président du tribunal pour enfants de Bordeaux

Laurent Gebler, vice-président du tribunal pour enfants de Bordeaux, prend chaque jour des décisions qui ont un impact immédiat dans la vie des familles. Ce métier de juge des enfants qu’il exerce depuis des années, exige notamment une bonne résistance psychologique.

Après deux mois de confinement, Laurent Gebler, juge des enfants, reprend progressivement le chemin des tribunaux : « Les audiences redémarrent, au civil et au pénal. La difficulté est de faire en sorte qu'elles soient compatibles avec les contraintes sanitaires, et notamment, de permettre aux magistrats de pouvoir disposer de salles d'audience mutualisées, leurs bureaux étant souvent trop exigus pour recevoir plusieurs personnes tout en respectant une distance minimale entre chacune. »

 

Protéger les mineurs en danger et juger les mineurs délinquants : telles sont les deux missions du juge des enfants qui intervient donc à la fois dans le domaine civil et pénal. « La protection de l’enfance représente deux tiers de notre activité » souligne Laurent Gebler. En matière civile, ce magistrat intervient donc dans le cadre de l’assistance éducative à des mineurs en danger, lorsque leur santé, leur sécurité, ou leur moralité* sont menacées. A ce titre, il prononce des mesures éducatives…

 

Tension palpable lors des audiences

 

« Les mesures d'assistance éducative ne sont pas des sanctions pénales. Le juge doit essayer, dans la mesure du possible, de maintenir l'enfant dans sa famille, en désignant une personne qualifiée ou un service spécialisé pour aider celle-ci » explique Laurent Gebler. Chaque jour, il reçoit ainsi dans son bureau, le ou les enfants et leurs parents pour discuter avec eux de la situation qui lui est soumise. « Il y a beaucoup de tension lors de ces audiences. Nous pouvons être en face de parents qui ont des problèmes psychiatriques, d’alcoolisme… Les échanges sont difficiles. Nous savons que les décisions que nous allons prendre auront un impact immédiat dans la vie de famille » confie le magistrat.  

 

Des mesures de placement pour les situations les plus graves

 

A l’issue de chaque audience, le juge peut recourir à des mesures d’instruction et d’investigation concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents. Il peut ainsi s'agir d’une enquête sociale, d'examens médicaux, d'expertises psychiatriques et psychologiques… Les services et personnes en charge de ces mesures d’investigation doivent remettre leur rapport au juge dans un délai de 6 mois maximum, au terme duquel il pourra prendre sa décision. « Nous travaillons avec les services d’aide sociale à l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse, le conseil départemental… Nous sommes au cœur d’un réseau. C’est essentiel pour construire des circuits de signalement et pour la prise de décision. »

 

Le juge des enfants peut donc ordonner deux types de mesures d'assistance éducative : un suivi par une personne qualifiée ou un service spécialisé qui permet à l'enfant de rester dans sa famille. Il prononce alors une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert. Dans les cas les plus graves, il peut aussi décider d'une mesure de placement qui retire donc le mineur de son milieu familial.

 

« Un métier éprouvant moralement et physiquement »

 

Le juge des enfants peut aussi intervenir en matière pénale lorsque des mineurs ont commis des délits ou des crimes et doivent être jugés pour répondre de leurs actes. « Nous avons alors plusieurs fonctions : nous instruisons l'enquête, nous participons à son jugement et nous faisons également office de juge de l'application des peines » précise Laurent Gebler. Le professionnel ajoute que ce métier demande une grosse capacité de travail : « Le juge des enfants est le magistrat qui a le plus d’audiences.  Nous avons tous un nombre conséquent de dossiers à traiter. Les audiences en pénal ne sont pas de tout repos. Il faut faire preuve d’écoute, de persuasion et avoir les nerfs solides. C’est un métier éprouvant moralement et physiquement. » 

 

Laurent Gebler a débuté sa carrière de juge des enfants en Lorraine, il y a plus de trente ans, à sa sortie de l’ENM (Ecole nationale de la magistrature). Il se souvient précisément de ses débuts : « Je suis venu me présenter à mes collègues la veille de ma prise de fonctions. Une juge présente dans les locaux m’a regardé en fronçant les sourcils et m’a demandé si j’étais convoqué aujourd’hui. Je lui ai répondu que je n’avais pas rendez-vous avec elle mais que j’étais leur futur collègue ! » Très vite, le jeune juge est plongé dans le bain et multiplie les audiences : « Cela s’est fait naturellement. Nous sommes très bien préparés à la prise de fonction à l’ENM avec les stages que nous faisons en tant qu’auditeurs de justice. » Après ce poste à Metz, Laurent Gebler exercera son métier de juge des enfants à Nancy puis celui de juge des tutelles. Il enseignera ensuite à l’ENM, puis occupera les fonctions de juge au TGI de Libourne (civil et pénal, hors mineurs). Depuis plus de neuf ans, il officie en tant que juge des enfants à Bordeaux. Le professionnel confie « qu’il n'exerce pas la fonction de la même façon après 20 ans d'expérience et qu’il prend davantage de recul, même si la passion reste intacte. » On revient finalement toujours à ses premières amours… 

 

*Article 375 du Code civil.

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