Martin Hauser. « Sur vingt-cinq médiations, je n'ai connu que trois échecs. »

 Martin Hauser. « Sur vingt-cinq médiations, je n'ai connu que trois échecs. »

Martin Hauser un avocat passionné. Franco-Allemand, son expérience est multiculturelle. Il en est certain ; le différend ne doit pas systématiquement se régler devant un tribunal. Médiateur depuis huit ans, nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur ce mode alternatif de règlement des différends qui intéresse de plus en plus d’entreprises. 

Carrières-Juridiques.comVous êtes avocats. Comment,quand et pourquoi êtes-vous devenu médiateur ? 


Martin Hauser. J’ai suivi mon premier parcours universitaire en Allemagne et en Suisse. A la fin de celui-ci,  j’ai réalisé une thèse de doctorat en droit comparé franco-allemand. Pour plusieurs raisons, j’ai choisi de créer, avec deux associés, à la fin des années 80 ma structure en France spécialisée en propriété intellectuelle, dans les secteurs de la mode et du luxe. J’ai très vite constaté les limites du recours aux juridictions, notamment dans les affaires internationales. Ce constat m’a tout d’abord mené vers l’arbitrage international. 


Je voyais par ailleurs de plus en plus de jugements peu satisfaisants pour les parties, accompagnés de délais considérables et d'une addition finale élevée pour les justiciables. Avec l’arrivée des nouvelles technologies, le monde des affaires s’est accéléré, si bien que le cours de la justice se retrouve aujourd’hui dans un rythme inadapté par rapport aux intérêts des entreprises. C’est autour des années 1998 que j’ai entendu parler de la médiation. On disait que ce serait un mode plus rapide, moins cher et plus consensuel pour sortir du conflit. Par curiosité. j’ai alors suivi une première formation organisée par l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) à Genève. J’ai été fasciné par la présence de personnes d’horizons divers et par la découverte d'une approche et d'une méthode de résolution des conflits totalement différente. 


     "On disait que ce serait un mode plus rapide, moins cher et plus consensuel pour sortir du conflit"


C-J.comPouvez-vous nous expliquer un peu plus à quoi consiste la médiation ? 


M. H. En France on distingue deux types de médiation. D’un côté, la médiation judiciaire, décrite par le Code Civil dans le cadre de laquelle le juge nomme, avec l'accord des parties, un médiateur. De l’autre côté, la médiation conventionnelle, où les parties décident en dehors d'une instance judiciaire de recourir à la médiation. Dans les deux cas, la médiation est un processus structuré mais libre et flexible, c’est tout son intérêt. En tant que médiateur, j’écoute les parties ensemble ou aussi séparément dans un lieu neutre. Leurs avocats sont présents, mais leur rôle diffère de celui devant un tribunal. Il consiste à conseiller les parties au cours de leur négociation avec l'autre partie.


Un des objectifs, tout au moins de la médiation commerciale, est d’arriver à un accord gagnant-gagnant qui répond au mieux aux intérêts et besoins des parties, alors que les positions en droit qu'elles expriment sont souvent inconciliables. Il faut réussir à analyser le conflit sur le plan personnel comme matériel. C’est souvent un exercice de psychologie intéressant. La médiation va permettre de sonder et d'identifier les véritables intérêts et besoins de chaque partie au cœur du conflit. S'ils ne sont pas les mêmes pour les deux parties, ils sont cependant souvent conciliables, si bien que les parties arrivent à trouver des solutions raisonnées, où chacune trouve son compte. 


     "Il faut réussir à analyser le conflit sur le plan personnel comme matériel."


C-J.com. Comment préparez-vous une médiation ? 


M. H. Il n’y a pas de règle prédéterminée. Chaque médiateur se prépare comme il le souhaite. Certains de mes collègues préfèrent ne pas recevoir de dossier pour rester focalisé sur le ressenti des parties. Pour ma part, je traite des médiations essentiellement dans le domaine interentreprises, aussi dit commercial. Les cas sont souvent complexes et techniques. Il me parait nécessaire d’en comprendre les termes avant de rencontrer les parties. Par ailleurs, je prends le temps de réunir en amont les avocats des parties et de discuter avec eux sur le processus de mediation. Je leur demande de réfléchir avec leurs clients aux alternatives à un accord pour le cas d'échec de la mediation. Cela leur permet d'analyser jusqu’où elles peuvent aller dans la négociation en médiation. 


C-J.com. L’avocat est-il le plus à même d’endosser le costume du médiateur ? 


M. H. Un médiateur n’est pas nécessairement un avocat. Il peut être psychologue par exemple. Les conflits en droit commercial font néanmoins souvent appel aux compétences d’un médiateur qui est juriste. Pour certains dossiers, je pense qu’il serait d’ailleurs très intéressant de mener des co-médiations par un team composé d'un avocat et d'un psychologue. 


C-J.comCombien de dossiers avez-vous traités en tant que médiateur ? Quelle est la proportion de réussites ? 


M. H. J’ai été impliqué dans vingt-cinq médiations commerciales, en tant que médiateur ou en tant qu’avocat accompagnant une partie en mediation. Sur ces vingt-cinq médiations, je n’ai connu que trois échecs. Ceux-ci ont des explications bien précises, notamment parce que les parties ont refusé de venir et de participer elles-mêmes à leur négociation. Elles ont préférés de se faire représenter par leurs avocats dans le cadre de la mediation.


La médiation est efficace parce que les parties y adhèrent librement. Elles sont parfois très en colère ou très affectées, mais ne quittent rarement la salle de mediation alors qu'elles pourraient partir à tout moment.


C-J.com. C’est donc quelque chose que vous conseillez aux jeunes avocats ? 


M. H. Il est important que les jeunes se forment aux pratiques de la négociation qui est la base de la médiation. Il faut désormais connaître les techniques élémentaires de la négociation et aussi de savoir en quoi consiste la médiation. Le CMAP propose d'excellentes formations à la médiation. Thierry Garby propose d'excellentes formations à la négociation. Si les jeunes avocats ne pratiqueront vraisemblablement pas la médiation en tant que médiateur dès leur entrée dans la profession, ils doivent savoir analyser un conflit commercial, développer une stratégie de négociation et accompagner leurs clients dans une négociation, aussi dans le cadre d'une médiation. Les jeunes doivent avoir conscience que la culture internationale du conflit commercial change, favorisant une résolution par voie de négociation. Une bonne négociation se prépare avec méthode. 


       "Il est important que les jeunes se forment aux pratiques de la négociation qui est la base de la médiation." 


La négociation raisonnée et a fortiori la médiation constituent des expériences enrichissantes, aussi bien sur le plan humain qu'interculturel. Pour être médiateur, il faut suivre une formation plus poussée et passer des examens de certification. Le rôle de médiateur suppose une certaine expérience professionnelle et un certain recul.


C-J.comSongez-vous également au droit collaboratif ? 


M. H. Je ne connais pas bien le droit collaboratif. Je pense en revanche que si la médiation fonctionne c’est grâce à la présence d’un tiers. Le médiateur agit comme un catalyseur. Sa présence est aussi une aide psychologique.


C-J.comVous êtes donc un médiateur convaincu…


M. H. Et je ne suis de loin pas le seul. Nombreux dirigeants d’entreprises et directeurs juridiques, souvent de grands groupes, sont convaincus et favorisent la médiation pour tenter de sortir d'un conflit commercial.


La médiation est un procédé efficace lorsque les parties acceptent de se rencontrer en présence de leurs avocats pour chercher à comprendre le point de vue de l'autre partie, dans le but de négocier une solution en direct. Elles sont actrices de la construction de cette solution et y adhèrent donc forcément. Cette circonstance facilite son exécution, là où elle est plus difficile dans le système judiciaire. Le procédé est bien moins onéreux, et les parties sortent systématiquement ravies. C’est aussi un outil utile pour la vie quotidienne de l’avocat. La volonté de sortir de façon raisonnée du conflit devient un réflexe. En tant qu’avocat, je suis souvent amené dans des négociations difficiles à recourir à certaines techniques qu'utiliserait un médiateur, pour aider mes clients à sortir de situations conflictuelles.


A ce jour, les dossiers de médiation restent peu nombreux par rapport à la masse de dossiers litigieux. Nous devons changer de discours et expliquer à nos clients qui veulent affronter leur « adversaire », que la médiation est, contrairement à certaines idées reçues, plus propice à une telle confrontation que le cadre judiciaire. Je suis persuadé que la négociation assistée par un tiers dans le cadre d'une médiation connaîtra un avenir prometteur, à condition de bien expliquer les avantages de ce processus de résolution des conflits et de permettre aux parties d'en faire l'expérience.



Propos recueillis par Capucine Coquand



Retrouvez également Les tendances de la médiation pour l'année 2014.