Réseaux sociaux et licenciements: quand les murs ont des oreilles

Réseaux sociaux et licenciements: quand les murs ont des oreilles

Devenu l'outil quotidien de millions d'utilisateurs, l'apparition des réseaux sociaux ces dernières années ne cessent de nourrir de façon croissante la jurisprudence qui tient en grande partie sur le licenciement pour motif personnel en droit du travail. En effet, face à son écran le salarié peut se sentir libre de tenir les propos qu'il souhaite puisque la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle est parfois délicate à être distinguée sur la toile. Ainsi, dénigrer sa hiérarchie ou abuser de la connexion Facebook sur son lieu de travail peut relever de graves conséquences dont le salarié ignore parfois encore trop souvent. Face à ce contentieux quel raisonnement adopte les magistrats et quelle place pour la liberté d'expression ?

 
 

Pour quelles raisons un salarié peut-il se faire licencier par l'utilisation des réseaux sociaux?

 

En droit du travail, il est de principe que seules les fautes professionnelles peuvent justifier le licenciement. Les hauts magistrats font cependant preuve de pragmatisme et retiennent plusieurs critères pour faire approuver un licenciement. Premièrement, ils estiment qu'un licenciement peut être justifié lorsque le salarié manque à une obligation qui découle de son contrat de travail (sociale, cassation 3 mai 2011). Le plus souvent l'employeur retient le manquement à l'obligation de loyauté impliquant le salarié à exécuter son contrat de travail en toute bonne foi et s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise qui se traduit par un devoir de fidélité, confidentialité et de non-concurrence. Ainsi, en 2011 un jugement du conseil des Prud'hommes de Guingamp condamnait un ancien salarié pour déloyauté envers son employeur puisqu'il avait organisé une campagne de dénigrement sur plusieurs forums et a été puni d'une amende de 15 000€ puisque la mauvaise réputation de l'entreprise était de ce fait visible sur les moteurs de recherche. Dans un arrêt Alten du Conseil des Prud'hommes le 19 novembre 2010, les juges ont retenu qu'une « page même personnelle, prend un caractère public dès lors que son contenu peut être lu par plusieurs personnes » où plusieurs salariés s'étaient vanté de « se foutre de la gueule de sa hiérarchie ». La deuxième chose tient au fait que les propos doivent caractériser un trouble objectif causé à l'entreprise (Cour d'Appel de Rouen 15 novembre 2011).

 

Comment se protéger pour éviter tout problème ?

 

En matière Prud’homale le système de preuve est libre, ainsi un ami du compte Facebook peut faire une copie d'écran et la rapporter à son employeur. Fort heureusement, la Cour de cassation est venue poser une limite dans un arrêt le 10 avril 2013 en retenant que « les sites Facebook et MSN constituent des espaces privés dès lors qu'ils ne sont accessibles qu'aux seules personnes agrées par l'intéressée, en nombre très restreint ». On peut légalement penser que nombre restreint ne signifie pas seulement mettre un statut en mode personnalisé, mais aussi le fait d'avoir une « communauté d'intérêts » peu élevé. Le débat en dit très long puisque la différence de l'amende entre propos public et privé est extrêmement importante allant de 38€ pour injure privé et 12 000€ pour injures publiques. Le tout est dans la juste mesure, le salarié peut évoquer sa vie professionnelle sur les réseaux sociaux mais le tout est de peser ses mots. Ce principe de juste mesure se retrouve pour la connexion à ces réseaux sur le lieu de travail. Il a ainsi été jugé dans un arrêt de la Cour d'Appel de Bordeaux le 15 janvier 2013 qu'une heure par semaine sur Facebook n'était pas déraisonnable et abusive mais que 41 heures par mois était abusive.

 

Pourquoi la liberté d'expression n'est-elle pas retenue ?

 

La liberté d'expression, principe fondamental se logeant en son article 11 de la déclaration des droits de l'Homme dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». De nombreux textes défendent également cette liberté telle que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme ou encore l'article L1121-1 du Code du travail. Cependant, comme bien souvent en droit, une liberté possède ses limites et c'est ce qu'il en est sur les réseaux sociaux. Dès lors qu'une limite est retenue c'est celle ci qui est soutenue et non le principe même de la liberté d'expression. Ainsi, plusieurs limites peuvent illustrer l'affaire des réseaux sociaux tels que ne pas tenir de propos diffamatoires, injurieux, inciter à la violence, à la haine raciale ou encore porter atteinte à la vie privée d'autrui. En somme, l'employeur ne peut restreindre la liberté d'expression d'un salarié que si cette limitation est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et si elle reste proportionnée au but recherché. Cette solution a été reprise récemment dans un arrêt en date du 14 janvier 2014 chambre sociale de la Cour de cassation.

 

Droit du travail et réseaux sociaux : quel avenir possible ?

 

Un appel à la prudence des salariés est nécessaire puisque tout peut être contrôlé. En effet, les propos injurieux ne sont pas la seule chose retenue comme mode de preuve pour un licenciement puisque dans un arrêt de la Cour d'Appel d'Orléans du 28 février 2013 une image diffamatoire représentant sa hiérarchie a été retenue pour un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Le compte d'un couple sur Facebook a également servi de preuve pour justifier un licenciement où le salarié en maladie professionnel parlait de ses vacances, alors qu'il n'a pas été établi que le statut pouvait avoir été fait par sa compagne (Cour d'Appel d'Amiens le 21 mai 2013). Attention également à la géolocalisation sur Facebook, retenue par un arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier le 1er avril 2014. Facebook peut servir à une multitude de preuves dans les autres branches également comme prouver une relation adultère (Cour d'Appel de Versailles 30 janvier 2014) ou retenir la maturité des statuts sur Facebook pour attribuer ou non l'autorité parentale (Cour d'Appel de limoges 30 mars 2011). On peut ainsi penser qu'en droit du travail, selon l'heure où un salarié était censé être au travail et a posté un statut servir de preuve, une photo prise à un endroit où il n'était pas censé être, le fait d'avoir rejoint un groupe ou encore une page. Mais qu'en serait-il pour une page Facebook relative à une société dont le salarié publie du contenu sur celle-ci de façon professionnelle ? Il devrait ainsi se connecter depuis son compte pour avoir accès à la page en tant qu'administrateur, il s'agit là d'un chevauchement dont on peut légalement se poser la question. De plus, les raisonnements ne sont pas toujours les mêmes selon les chambres de la Cour de Cassation et on espère un arrêt d'assemblée plénière pour enfin trancher de façon claire la jurisprudence sur les réseaux sociaux.



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