Les perspectives contemporaines sur le droit de la preuve

Les perspectives contemporaines sur le droit de la preuve

Vendredi 10 novembre 2017 s’est tenu le colloque sur la Preuve organisé par EUROJURIS, en partenariat avec le Centre de Recherche sur la Justice de l’Université Paris II (CRJ).

Ce colloque qui a réuni plus de 60 participants, a permis aux différents intervenants de dresser un tableau de la preuve dans plusieurs domaines.

Lucie MAYER, Professeur à l’Université de Paris-Sud, a d’abord dressé le cadre théorique et jurisprudentiel du droit à la preuve.

 

Elle a rappelé que la notion de droit à la preuve a d’abord été annoncée de façon prétorienne. La CEDH est la première à avoir employé l’expression de droit à la preuve dans un arrêt de 2006 ; Puis dans un arrêt du 13 mai 2008 la CEDH rattache le droit à la preuve au droit à un procès équitable. Ce ne sera qu’en 2012 que la cour de cassation reprendra la notion de droit à la preuve. Aujourd’hui les conditions de mise en œuvre du droit à la preuve ne sont pas toujours très claires.

 

Le droit à la preuve peut permettre de primer sur d’autres droits, si les deux conditions suivantes sont réunies :

  • La preuve illicite produite doit être indispensable à l’exercice de ce droit
  • L’atteinte au principe de licéité de la preuve doit être proportionné au but poursuivi :
    l’objet ou la nature du droit en cause peuvent alors être pris en compte.

 

C’est le juge qui apprécie ces éléments, ce qui fait que le justiciable y perd en prévisibilité. Le dernier rapport de la cour de cassation préconise d’harmoniser les jurisprudences afin de dégager une doctrine de la proportionnalité de la cour de cassation.  Le droit à la preuve se heurte à divers secrets, que le droit protège inégalement, comme le secret des affaires.

 


Le colloque s’est naturellement poursuivi autour d’une table ronde sur le secret des affaires et les requêtes « article 145 », animée par Corinne PILLET, avocate à PARIS, Paul-Louis NETTER, Vice-Président du Tribunal de Commerce de PARIS, et Olivier FLAMENT, huissier de justice à PARIS.

 

Corinne PILLET, a commenté la directive européenne du 8 juin 2016 sur le secret des affaires. Cette directive, qui a pour objectif d’harmoniser les différentes législations au sein de l’Union Européenne,  devrait être transposée en droit français le 9 juin 2018. Elle apporte de la clarté, en donnant une définition du secret des affaires. La directive pose 3 conditions cumulatives pour qu’une information relève du secret des affaires. L’information doit :

  • Ne pas être connue des personnes appartenant au milieu qui s’occupent du genre d’informations en questions ;
  • Avoir une valeur commerciale car secrète : notion introduite par la France : ça peut être une idée, un développement potentiel, l’idée d’un lancement d’un produit ;
  • Avoir fait l’objet de dispositions raisonnables.

 

La directive donne une liste de ce qui n’est pas considéré comme faisant partie du secret des affaires. 3 catégories de personnes font exception : les journalistes, les représentants des travailleurs et les lanceurs d’alerte.
 

 

Paul Louis Netter décrit ensuite la procédure relative aux requêtes présentées au visa de l’article 145 du code de procédure civile.

 

Après avoir évoqué les conditions de la légalité des ordonnances rendues dans ce cadre, il s’attache à décrire leur application. Il souligne à cet égard, l’hétérogénéité des pratiques suivies sur le territoire français soulignant que le tribunal de commerce de Paris ordonne dans la très grande majorité des cas, le séquestre des pièces copiées.  Il considère que cette modalité devrait être encouragée, voire codifiée compte tenu du caractère fortement intrusif de la plupart des  mesures mises en oeuvre et de la nécessité de protéger certaines données couvertes par un secret professionnel ou, le cas échéant, le secret des affaires.

Il insiste, par ailleurs, sur la tendance à l’accroissement du nombre de pièces saisies et la difficulté de procéder à leur tri dans des conditions - notamment – de rapidité satisfaisante.

Il évoque enfin les conséquences de la transposition en droit français des directives sur la concurrence et sur le secret des affaires qui ne manquera pas d’impacter les pratiques des juridictions commerciales.

 


Olivier FLAMENT évoque le rôle de l’huissier dans les requêtes 145

 

L’huissier de justice peut être désigné comme constatant. Le secret des affaires n’est pas un obstacle en soi à la mise en œuvre d’une mesure sur le visa de l’article 145. Elle doit être légitime et proportionnée. Le principe lors de l’exécution de l’ordonnance est que l’huissier a une mission dont le périmètre est strictement défini dans l’ordonnance du juge. La rédaction de l’ordonnance fournit réellement ses outils et ses limites à l’huissier de justice. L’huissier exécute le mandat dans le cadre strict de la mission qui lui est dévolue. Le juge fixe éventuellement les règles de conservation des éléments. Il n’y a aucune uniformité des pratiques, les coutumes locales sont très diverses. Dans les ordonnances rendues par le Tribunal de commerce de Paris la mission est strictement encadrée (mots clés, période temporelle).

 

C’est ensuite au tour de Guillaume BOULAN, Avocat à NANTERRE, d’évoquer les spécificités du droit à la preuve en matière prud’homale 

 

Le droit social est particulièrement riche et très spécifique sur le sujet de la preuve. De façon générale, les règles de preuve en matière sociale suivent la logique posée par le Code civil à l’article 1353. A celui qui se prétend titulaire d’un droit de le justifier. A celui qui est engagé par une obligation de justifier qu’il en est libéré. Par exemple le salarié qui prétend qu’il a droit à une qualification doit prouver que les conditions en sont réunies. A l’employeur qui prétend ne pas avoir à verser le salaire de prouver qu’il en est libéré du paiement par l’absence du salarié.

 

Mais les magistrats et le législateur utilisent les règles de la charge de la preuve en droit du travail avant tout pour rétablir l’équilibre dans le procès entre l’employeur et le salarié. En effet, la preuve est souvent détenue par l’employeur alors qu’elle est nécessaire au salarié. Il est ainsi souvent en difficulté pour prouver qu’il peut revendiquer un droit.

 

Ainsi, certaines règles sont aménagées pour faciliter l’action du salarié et fixer des règles de preuve partagée (par exemple : la preuve des heures supplémentaires, la protection de la femme en état de grossesse, la preuve du harcèlement moral et sexuel, la preuve de la discrimination).

 

Mais plus encore, les règles de preuve sont utilisées pour prévenir les mauvaises pratiques. Ainsi, existent des règles de présomption, qui peuvent même être des présomptions irréfragables et qui ont pour objet de sanctionner l’employeur en cas de mauvaise pratique (par exemple, en matière de temps partiel, de CDD ou contrat intermittent conclus de façon illégale). Des règles d’indemnisations forfaitaires sont aussi appliquées à titre de sanction  pour prévenir des mauvais comportements par exemple en matière de licenciement nul, de violation du statut protecteur d’un salarié protégé, ou de licenciements économiques effectués sans plan de sauvegarde lorsqu’il est obligatoire.

 

La charge de la preuve devient ainsi, non plus un simple outil pour rendre la justice mais un vrai outil de justice sociale. Et on assiste enfin à une évolution encore nouvelle et une tentation du législateur de simplifier encore plus les règles de la charge de la preuve mais maintenant en vue de tenter de réguler le flux de contentieux. Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 vont clairement en ce sens en instaurant une sorte de barèmisation des indemnités avec pour but affiché de limiter le plus possible le recours au juge.  Il n’y aurait plus lieu à appréciation. Dans une situation donnée, le salarié aurait automatiquement droit à une indemnité déjà presque fixée dans son montant.