Un nombre croissant d’acteurs du monde du droit adoptent ou développent des outils pour améliorer l'offre des services juridiques et répondre aux besoins des justiciables. La LegalTech, portée par des professionnels du droit (avocats, huissiers, notaires, greffiers, etc.) ou par des entreprises classiques (jeunes pousses, éditeurs juridiques, assurances, secteur bancaire, etc.), nous invite à revisiter l'organisation d'un marché du droit numérique et moderne et participe à définir de nouvelles règles nécessaires à la protection des intérêts du secteur public de la justice.
Cette mutation est mondiale et doit impérativement prendre en compte les apports techniques du traitement des données, de l'intelligence artificielle, de l'accès à l'information en ligne, de la sécurisation de la correspondance, de la modernisation de l'État, de la mobilité, de l'ergonomie des interfaces, de l'inclusion des plus démunis, etc.
Micro secteur en hyper croissance, la LegalTech évolue dans un environnement juridique complexe, de par la sensibilité des données traitées ou de par l'articulation des règles propres à chaque profession réglementée du droit.
Dans ce secteur et plus que dans n'importe quel autre, les acteurs qui développent des activités se doivent d'être exemplaires et sont redevables de leurs choix technologiques. Tout écart ne manquerait pas d'être mis en exergue comme une défaillance de "la preuve par l'exemple". Comment accepter en effet qu'un acteur juridique soit en délicatesse avec la règle de droit qui fonde sa propre légitimité ? Les technologies elles aussi se doivent en effet d'être irréprochables afin de gagner la bataille fondamentale de la confiance numérique, auxquelles se livrent aujourd'hui tous les acteurs.
À ce titre, est-il utile de rappeler qu'aucun acteur de la LegalTech n'est au-dessus des lois et se doit encore plus que toute autre start-up de s'y conformer ? Est-il aussi utile de rappeler qu'en marge de tous les secteurs économiques des minorités d'acteurs ont des pratiques peu scrupuleuses sans que cela n'empêche une majorité d'entreprises de trouver des modèles nouveaux et parfaitement légaux pour transformer ou/et améliorer le quotidien de millions de citoyens ? Il convient donc de dénoncer tous les comportements et pratiques illégales nuisant au développement vertueux de cet écosystème et il est tout aussi nécessaire de penser en co-construction plutôt qu'en confrontation ; ce n'est pas dans l'opposition que l'on construira un véritable secteur juridique numérique, mais au contraire dans la collaboration entre les acteurs du droit et du numérique.
Dans ce secteur et plus que dans n'importe quel autre, les institutions et les acteurs publics qui organisent ce service public doivent donner à tous les mêmes moyens d'innover. À ce titre, pourquoi les données jurisprudentielles, plus de 18 mois après le vote de la Loi pour une République numérique ne sont-elles toujours pas librement accessibles et pseudonymisées pour les acteurs qui en feraient la demande ? Qu'attendent les autorités et les instances représentatives des professions pour mettre fin à ces situations de monopole qui nuisent à la transformation numérique de la Justice et à ses usagers, professionnels du droit et justiciables ? N'est-il pas nécessaire au 21e siècle de rendre le droit pleinement accessible et intelligible à tous, à l'instar de l'adage Nul n’est censé ignorer la loi, alors que les enquêtes jusqu'à présent démontrent que plus de 50% de la population n'a pas accès au droit et à la justice ? N'est-ce point là un enjeu démocratique majeur ?
Dans ce secteur et plus que dans n'importe quel autre, les professionnels du droit doivent être formés à la cyber sécurité et à la sensibilité des données stockées puis manipulées. Il en va de la protection du justiciable, de sa confiance envers la justice et envers les professions soumises au secret professionnel garanti à leurs clients. À ce titre, au vu de l’actualité récente, la possibilité que des dizaines de professionnels du droit, soumis à une déontologie stricte, aient pu être dupés par des pratiques de typosquatting est très inquiétante. Ce sont là de véritables enjeux de formation et de sensibilisation à la sécurité informatique indispensables à tous ceux qui sont amenés à travailler sur le marché du droit et a fortiori à l'heure du tout numérique souhaité par le Ministère de la Justice.
Dans ce secteur et plus que dans n'importe quel autre, la transformation du marché du droit est globale et complexe. Les acteurs de la LegalTech doivent agir en concertation, avec prudence et humilité. Ils sont souvent amenés à révéler et résoudre des problématiques délicates qui n'ont pas été encore identifiées ni par le législateur ni par les instances représentatives des professions réglementées. Pour co-construire ce nouveau marché, ces activités doivent être en mesure de s’autoréguler en partageant leurs pratiques et leurs difficultés, tout en remettant en question le sens de leurs démarches et l’impact de leurs services. Il s’agit d'offrir à chacun un cadre cohérent pour expérimenter des modèles nouveaux visant à améliorer l'accès et la qualité du droit et de la Justice dans le respect des lois, de tous les acteurs du marché et de l'intérêt supérieur du justiciable.
C'est pourquoi il nous semble aujourd'hui essentiel, dans cette période de mutations fortes, de rappeler les fondamentaux. L'accès aux textes et à la jurisprudence doit être gratuit et ouvert au plus grand nombre. La puissance publique, les acteurs juridiques se doivent d'être exemplaires dans la transparence et les procédures d'information et de pédagogie. Cela fonde notre action et détermine nos objectifs.
Voilà le sens de l’engagement de nos institutions pour une justice moderne, fiable et transparente.
Signataires de cette tribune :
|
|