Le rôle de l’Agence française de lutte contre le dopage
L’Agence française de lutte contre le dopage est l’une des huit autorités publiques indépendantes répertoriées par la loi du 20 janvier 2017[1]. L’Agence a ce statut juridique depuis 2006[2], c’est-à-dire qu’elle dispose de la personnalité morale[3]. Elle succède au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, ancienne autorité administrative indépendante.
Le rôle de l’Agence est de garantir le respect de la législation et de la réglementation anti-dopage en France, en coopération avec les fédérations sportives. Ces dernières sont habilitées par le législateur à prononcer des sanctions en matière de dopage[4]. Dans certains cas, il est loisible à l’Agence de se saisir d’office de certaines affaires et de prononcer des sanctions le cas échéant[5]. C’est cette dernière disposition législative – l’article L.232-22 3° du Code du sport – dont la constitutionnalité était contestée par le requérant.
L’affaire
En l’espèce, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), transmise par le Conseil d’État, avait pour objet de contester le fait que le législateur n’ait pas imposé de séparation organique ou fonctionnelle au sein de l’Agence, entre les fonctions de saisine d’office et celles de sanction.
Plus précisément, le requérant avançait l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». De cet article découlent les principes d’impartialité et d’indépendance qu’il convient de distinguer.
Le principe d’impartialité exige que la personne ou l’organe soit préservé des influences qui lui sont propres (opinions ou intérêts personnels, par exemple).
Le principe d’indépendance, quant à lui, suppose que cette même personne ou ce même organisme soit protégé des influences qui lui sont extérieures (pouvoir politique, par exemple).
La confirmation du pouvoir de sanction de l'AFLD
En premier lieu, le Conseil constitutionnel confirme que les autorités administratives ou publiques indépendantes peuvent prononcer des sanctions. Il estime que ce pouvoir n’est pas, en soi, contraire au principe de séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 précité. En effet, ce pouvoir de sanction est régulièrement exercé par ces autorités. À titre d’exemple, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui est aussi une autorité publique indépendante, a récemment décidé de retirer à M. François GALLET son mandat de président de Radio France suite à sa condamnation pénale pour délit de favoritisme[6].
Un pouvoir de sanction très encadré
Toutefois, ce pouvoir de sanction doit respecter trois conditions cumulatives.
Les deux premières conditions tiennent au contexte. L’autorité en question doit non seulement agir dans le cadre de prérogatives de puissance publique, mais aussi exercer le pouvoir dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission. En d’autres termes, l’autorité ne saurait avoir un pouvoir de sanction trop général ; ce dernier est délimité par son champ de compétences. Enfin, la troisième condition est que le législateur prévoit des mesures protectrices des droits et libertés constitutionnellement garantis.
Ces conditions ne sont pas nouvelles ; le Conseil constitutionnel reprend les décisions « Société Groupe Canal Plus et autres » de 2012[7] et « Société Numéricable SAS et autres » de 2013[8]. Tout en les confirmant, il étend ces conditions aux autorités publiques indépendantes. Les deux décisions précitées ne portaient en effet que sur deux autorités administratives indépendantes : l’Autorité de la concurrence et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).
L’obligation de garantir les droits et libertés constitutionnelles
Ensuite, le Conseil constitutionnel liste les droits et libertés constitutionnelles applicables en matière de punition. S’il reprend les principes d’impartialité et d’indépendance avancés par le requérant, il y a ajoute le principe de légalité des délits et des peines et les droits de la défense. Ces contraintes sont applicables quand bien même l’Agence est « de nature non juridictionnelle ». Les autorités de régulation ont en effet un statut juridique bien particulier. Bien qu’ « administratives », elles exercent un pouvoir de sanction « quasi-juridictionnel »[9].
Là encore, il ne s’agit ici que d’un rappel étendu aux autorités publiques indépendantes dans la mesure où le Conseil constitutionnel avait déjà listé ces exigences dans les décisions précitées.
La méconnaissance du principe d’impartialité
En l’espèce, le Conseil constitutionnel estime que l’absence de séparation entre les fonctions de saisine d’office et de sanction a porté atteinte au principe d’impartialité. Le législateur était tenu d’exiger que ces deux fonctions ne soient pas exercées par la même personne ou le même organe. Cette déclaration d’inconstitutionnalité n’est pas étonnante car le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de déclarer inconstitutionnelle cette absence de séparation des fonctions pour l’ARCEP [10].
L’article L.232-22 3° du Code du sport n’avait pas respecté cette obligation car le législateur s’était borné à confier ces deux fonctions à l’Agence, de manière générale, sans imposer une quelconque séparation. Par conséquent, le principe d’impartialité a subi une violation.
Une déclaration d’inconstitutionnalité aux effets différés
Conformément à l’article 62, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958, le Conseil constitutionnel choisit de reporter au 1er septembre 2018 la date d’abrogation des dispositions inconstitutionnelles, avançant que les conséquences d’une abrogation immédiate seraient « manifestement excessives ». Si le rôle du Conseil constitutionnel est de s’assurer que les lois sont conformes au bloc de constitutionnalité, cet objectif doit être concilié avec d’autres paramètres tels que la continuité du rôle régulateur de l’Agence.
En sus, le Conseil constitutionnel opère une distinction entre deux types d’affaires de dopage.
En premier lieu, il impose à l’Agence de se saisir de toutes les décisions rendues par les fédérations sportives sur le fondement de l’article L.232-21 du Code du sport, sans distinction, jusqu’au 1er septembre 2018 ou, du moins, jusqu’à ce que le législateur ait corrigé l’inconstitutionnalité de cet article. Pour ces affaires, l’inconstitutionnalité de la procédure n’est pas invocable par les requérants. Le fait que l’Agence soit obligée de se saisir de ces affaires est de nature à éteindre tout soupçon de partialité quant à la décision qui sera ensuite rendue par l’Agence, comme l’explique le commentaire officiel accompagnant la décision.
En second lieu, pour les décisions dont l’Agence s’est déjà saisie mais qu’elle n’a pas encore reformées, l’inconstitutionnalité de la procédure reste néanmoins invocable.
Une extension prochaine aux autorités constitutionnelles indépendantes ?
La question qui se pose est de savoir si cette exigence relative à l’impartialité pourrait être étendue, à son tour, aux autorités constitutionnelles indépendantes – concrètement, au Défenseur des droits. En effet, ce dernier peut se saisir d’office[11]. S’il ne peut pas prononcer de sanction, il peut néanmoins demander à l’administration de sanctionner le fonctionnaire[12]. Il est possible que l’absence de distinction entre ces deux fonctions – même s’il ne s’agit pas d’un pouvoir direct de sanction – fasse l’objet, dans les années à venir, de contentieux.
Noélie DIERNAC
[1]Annexe de la loi n°2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes et article L 232-5 du Code du sport
[2]Article 2 de la loi n°2006-405 du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé publique
[3]Article 2 de la loi n°2017-55 précitée
[4]Article L.232-21 du Code du sport
[5]Article L.232-22 du même Code
[6]Communiqué du CSA en date du 31 janvier 2018
[7]C. Cst., 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, n°2012-280 QPC.
[8]C. Cst., 5 juillet 2013, Société Numéricable SAS et autres, n°2013-331 QPC.
[9]GÉLARD (P.), Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié, Rapport du Sénat, 15 juin 2006, n°404.
[10]C. Cst., 5 juillet 2013, Société Numéricable SAS et autres, n°2013-331 QPC.
[11]Article 71-1, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958.
[12]Article 29 de la loi n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.