L'administration fiscale sous les fourches caudines de la fraude et l'évasion fiscale

L'administration fiscale sous les fourches caudines de la fraude et l'évasion fiscale

Si l’administration fiscale a plus d’une corde à son arc pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, elle doit sans cesse lutter contre d’éventuels débordements qui pourraient conduire à des abus de droit. En outre, elle s’attache à sanctionner des montages qui auraient été construit dans l’objectif d’éluder l’impôt. L’administration fiscale est donc sans cesse face à un dilemme : éviter de créer des abus (notamment à l’occasion d’une violation du principe d’impartialité), et empêcher les contribuables d’en être les auteurs (via la procédure de répression des abus de droit, art. L64 LPF).

 

Si le Conseil d’Etat protège les intérêts du contribuable, il protège également le produit fiscal, et de surcroît l’action de l’administration fiscale.

 

En effet, pour lutter contre la fraude fiscale, l’administration doit s’immiscer dans la vie du contribuable, il faut donc protéger ce dernier, ce qui sous-entend également la protection de l’action de l’administration fiscale.

 

Le contentieux fiscal, à l’instar du contentieux pénal, a la particularité d’être un contentieux d’ordre public. Les prérogatives dont dispose l’administration fiscale sont encadrées par le Législateur afin d’entourer le contribuable de garanties optimales. 

L’administration fiscale dispose de deux types de prérogatives, actives et passives.


Les prérogatives passives


Elles permettent à l’administration d’obtenir des renseignements de la part du contribuable et d’effectuer des recoupements : demandes de renseignements, éclaircissements et justifications (art. L16 LPF), droit de communication (art. L81 LPF).


Les demandes d’éclaircissement et de justification relèvent de l’article L16 du LPF et permettent à l’administration de comparer les déclarations du contribuable avec les documents transmis par le contribuable. Si le contribuable ne répond pas à de telles demandes, qui ont une nature contraignante, ou si la réponse insuffisante est assimilée par l’administration à un défaut de réponse, elle peut procéder à une taxation d’office (L69 LPF) assortie de pénalités (art. 1729 CGI). 


Si cette sanction paraît sévère, l’on peut toutefois comprendre qu’elle a un effet dissuasif à l’égard du contribuable qui souhaiterait induire l’administration en erreur en dissimulant des revenus, c’est-à-dire en s’inscrivant dans une situation de fraude fiscale.


Les prérogatives actives


L’administration a un pouvoir d’enquête, lui permettant, lorsqu’elle a des soupçons de fraude,  d’aller directement à la source des informations en récoltant les preuves qu’elle recherche, via le droit de visite et de saisie, les contrôles inopinés, et le droit d’enquête.


Le droit de visite et de saisie relève de l’article L16B du LPF et donne la possibilité à l’administration de se présenter chez le contribuable afin de rechercher des indices visant à établir une fraude. Cette procédure est encadrée de garanties pour le contribuable, dans la mesure où l’administration ne peut pas procéder à une visite sans avoir au préalable obtenu une ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention.


Cette procédure est souvent critiquée dans la mesure où l’administration doit s’immiscer dans la vie privée du contribuable. Notamment, à l’occasion de la vérification de comptabilité (art. L13 LPF), on peut soulever une atteinte au principe de liberté de gestion qui gouverne la vie des entreprises.


Cette procédure prend aujourd’hui une coloration particulièrement dangereuse pour le contribuable avec la dématérialisation des données. A titre d’exemple, dans l’affaire Google, le juge des libertés et de la détention a autorisé la perquisition, à partir d’ordinateurs présents en France, de fichiers localisés sur un serveur étranger (Com. 26 février 2013).


Ces procédures peuvent donc paraitre dangereuses pour le contribuable, c’est pourquoi celui-ci bénéficie de garanties.

La relation entre le contribuable et l’administration n’est pas une relation classique à l’instar de deux cocontractants de droit privé. Le contribuable a un statut légal et réglementaire, à ce titre il ne peut pas revendiquer le bénéfice de droits acquis, sa situation pouvant évoluer avec des modifications législatives éventuelles. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel notamment a entouré la situation du contribuable de garanties.


Lorsqu’un litige oppose un contribuable à l’administration, celle-ci aura toujours la qualité de défendeur. En principe la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant en droit fiscal il est prévu des cas où l’administration supportera effectivement le poids de la charge de la preuve, pour une meilleure protection du contribuable.


Les garanties offertes au contribuable


Il s’agit des délais laissés au contribuable pour apporter des justifications. Lorsque l’administration enclenche une procédure à l’encontre du contribuable, celui-ci dispose toujours d’un délai pour apporter ses réponses. Ce délai qui varie en fonction de la nature de l’imposition en cause, et du caractère ou non occulte des activités du contribuable.


Mais il est d’autres délais laissés au contribuable. Notamment, si une procédure de vérification de comptabilité (art. L13 du LPF) est mise en œuvre à l’encontre d’une PME, celle-ci ne peut durer que 3 mois maximum.


Ainsi, la protection du contribuable passe par la limitation dans le temps de l’action de l’administration, et l’instauration d’un débat contradictoire (écrit ou oral) au long des différentes phases de la procédure.

Les problèmes de fraude et d’évasion fiscale ont un enjeu international, c’est pourquoi il est prévu de permettre à des agents fiscaux étrangers d’intervenir dans les procédures françaises.


L’intervention des agents fiscaux étrangers dans les procédures françaises


En principe, cette possibilité se heurte à la souveraineté des Etats. Cependant, afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, et pour protéger le produit fiscal, il est possible d’autoriser un agent étranger à intervenir dans une procédure française, mais celui-ci dispose de prérogatives limitées, principalement passives, puisqu’il ne peut qu’assister aux enquêtes.


La protection du produit fiscal


La lutte contre l’évasion fiscale a pour objectif d’empêcher la fuite de la matière imposable hors du territoire français.


Pour cela, il y a deux enjeux. D’une part, l’administration fiscale doit pouvoir sanctionner les contribuables qui quittent le territoire dans le seul but d’éluder l’impôt. D’autre part, la France doit rester attractive pour les sociétés étrangères qui souhaiteraient s’implanter sur le territoire.


A ce titre, la France a conclu avec de nombreux Etats des conventions fiscales d’échanges d’information et d’assistance administrative (on en compte à ce jour 124). Ces conventions ont pour principal objectif de lutter contre la double imposition. Aussi, le Législateur doit jongler avec les principes érigés par le traité de l’UE, notamment la liberté d’établissement et la liberté de circulation des capitaux.


Dans de nombreuses décisions, la CJUE va relever une restriction à l’une de ces deux libertés, qu’elle va s’empresser néanmoins de justifier par l’impératif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, qui en France est un objectif reconnu par la Constitution de 1958. Dans d’autres cas, la France sera condamnée pour avoir mis en place un régime fiscal attentatoire à ces libertés (voir à titre d’exemple CJCE 11 mars 2004, De Lasteyrie Du Saillant : condamnation de la France au titre du mécanisme de l’exit tax portant atteinte à la liberté d’établissement). 

Carrières-juridiques.com : Pensez-vous que les armes dont dispose l’administration fiscale sont efficaces pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ?


L. Ayrault : La question soulève deux interrogations : l’administration dispose-t-elle de moyens suffisants ? Ces moyens sont-ils efficaces ?


A titre personnel, les prérogatives de l’administration fiscale me paraissent aujourd’hui suffisantes. Les agents des services fiscaux disposent en effet de procédures pour agir sur le sol national et de moyens juridiques permettant de recourir à la coopération internationale.

Sur le plan interne, l’administration peut faire appel au contribuable lui-même ou à des tiers : tiers déclarants, droit de communication à l’égard de personnes morales et physiques, …. La liste des destinataires des demandes de communication ne cesse d’ailleurs de s’allonger de lois de finances en lois de finances, surtout depuis 2005.


Le droit de communication vis-à-vis des banques a lui aussi été renforcé, notamment en ce qui concerne les informations relatives aux opérations de transfert de sommes sur un compte à l’étranger. Le sujet est d’actualité. Le décret 2010-1011 du 30 août 2010 permet aux agents de demander des renseignements aux banques, y compris lorsque l’auteur des opérations n’est pas identifié. Il suffit, dès lors qu’il excède 15 000 euros, de communiquer le montant unitaire plancher des transferts recherchés et la période concernée. Les banques sont alors contraintes de fournir des listes.

Si l’on rajoute à cela la création d’une procédure judiciaire d’enquête fiscale qui permet le recours à des prérogatives prévues par le code de procédure pénale ou encore la possibilité, sur autorisation d’un magistrat, de perquisitionner un domicile privé, les moyens purement internes me paraissent suffisants.

Sur le plan international, la coopération internationale s’est également renforcée avec la crise économique, financière et aujourd’hui budgétaire. Suite au G20 de Pittsburg, les moyens ont été développés afin de lutter contre les Etats ou territoires non coopératifs (un Etat doit désormais conclure une convention d’assistance administrative avec la France et 12 autres Etats pour être considéré comme transparent). A ce jour 8 Etats sont considérés comme non coopératifs.

La coopération administrative ne s’est pas uniquement développée au moyen de conventions fiscales internationales puisque l’on assiste également au développement des règles européennes en matière d’établissement et de recouvrement des impositions.

Les moyens dont dispose l’administration pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales me paraissent donc aujourd’hui suffisants.


Sont-ils efficaces ? L’administration fiscale dispose des moyens juridiques pour mener à bien sa mission. Elle peut d’ailleurs intervenir aujourd’hui dans des domaines auparavant inaccessibles aux agents puisqu’un opérateur peut être contrôlé avant même l’expiration du délai légal de déclaration, ce qui permet de lutter contre la fraude carrousel en matière de TVA (LPF, art. L. 16 D). La procédure de flagrance fiscale permet même aux agents du fisc d’intervenir au titre d’un exercice en cours. 


Les moyens d’investigation peuvent donc être considérés comme efficaces. La coopération fiscale internationale l’est également, du moins lorsque les Etats acceptent de coopérer et d’appliquer pleinement les clauses d’assistance prévues dans les traités.


Carrières juridiques.com : Serait-il souhaitable de renforcer les prérogatives de l’administration fiscale ?

L. Ayrault : A titre personnel, je ne le pense pas. Il faut en effet concilier l’intérêt du Trésor qui est de permettre à l’administration fiscale de protéger le produit de l’imposition et, ce faisant, de contrôler le bon établissement de l’imposition, et la nécessaire protection des droits et garanties du contribuable. L’administration fiscale dispose aujourd’hui de tous les outils pour mener à bien son action. Ces derniers ont d’ailleurs été adaptés pour faire face aux évolutions technologiques, notamment pour le contrôle des comptabilités informatisées. Les prérogatives de l’administration fiscale me paraissent également suffisantes du point de vue des délais qui encadrent son action. Les délais de reprise sont souvent à la limite de ce que la législation admet comme le délai maximum : la dixième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. 


Carrières juridiques.com : L’intervention des agents du fisc étrangers, et inversement, dans les procédures françaises, doit-elle être développée en octroyant aux agents étrangers des pouvoirs étendus, identiques à ceux dont disposent les agents français ?

L. Ayrault : Accorder aux agents publics étrangers les mêmes prérogatives que les agents français me paraît difficile et non souhaitable en l’état actuel de notre système fiscal. Cela ne signifie pas qu’il faille rejeter toute idée de coopération renforcée entre les administrations nationales, notamment au sein de l’Union européenne. Tel est d’ailleurs le mouvement qui peut être aujourd’hui observé. La loi de finances rectificative pour 2011 a modifié l’article L45 LPF de manière à permettre à des agents publics d’Etats membres de l’UE, d’intervenir en France en soutien d’agents français. 

Ces agents publics étrangers disposent de prérogatives, sans pour autant disposer du droit d’intervenir seuls sur le sol français. Ces agents peuvent demander des renseignements aux contribuables, recevoir des copies des informations ou encore assister à l’exercice du droit de communication (L81 du LPF). Le texte contribue clairement à l’émergence d’un droit fiscal européen (cf. le questionnaire de la Commission européenne sur la création d’une charte du contribuable de l’Union européenne). D’ailleurs, les agents publics étrangers sont assimilés aux agents publics français pour l’application de la majoration prévue pour opposition à contrôle fiscal. Il me paraît cependant difficile d’aller au-delà en l’absence d’une imposition véritablement européenne. 


Carrières-juridiques.com : Les services fiscaux des différents Etats ont-ils des armes suffisamment efficaces pour collaborer ensemble et lutter ainsi contre la fraude et l’évasion fiscales ?

L. Ayrault : La question renvoie à celle des conventions fiscales internationales et du droit de l’Union Européenne.

Le droit de l’UE a développé la coopération entre administrations fiscales des Etats membres (sous réserve d’une habilitation des agents étrangers pour assister les agents nationaux). En outre un échange d’informations est organisé entre Etats, lequel est doublé par le réseau conventionnel qui existe via des traités fiscaux classiques. Il s’agit là de conventions fiscales d’échange de renseignements suivant l’article 26 du modèle OCDE qui permet à l’administration fiscale française, sous réserve de réciprocité, d’avoir accès à des informations détenues par d’autres administrations d’Etats parties aux conventions.

Les Etats sont aujourd’hui fortement encouragés à coopérer, ne serait-ce que pour éviter d’être considérés comme un Etat ou territoire non coopératif. Cette qualification emporte alors des conséquences sur le régime d’imposition applicable aux opérateurs qui y localisent des activités ou des éléments de leur patrimoine. Sans compter le renforcement des moyens juridiques de l’administration fiscale. 


Carrières-juridiques.com : Comment sortir d’une telle liste ?

L. Ayrault : Il suffit de faire preuve de transparence. Un ETNC (Etat ou Territoire Non Coopératif) doit ne pas être membre de l’Union Européenne, il doit conclure avec la France une convention d’échange de renseignements et avec 12 autres Etats. Enfin, il doit passer un test réalisé par l’OCDE. 


Carrières-juridiques.com : Quel test est concrètement prévu par l’OCDE ?

L. Ayrault : L’évaluation est réalisée par le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale. Il s’agit de contrôler la législation et la pratique des différents Etats membres de l’organisation afin de mesurer l’effectivité de la coopération. Il existe en effet une différence entre conclure une convention d’assistance administrative et la rendre véritablement opérationnelle. Sur la base de remontées d’informations de la part des Etats demandeurs, il est possible de juger du degré de coopération effective de l’Etat sollicité.