La tulipe Bitcoin qui cache la forêt blockchain

La tulipe Bitcoin qui cache la forêt blockchain

Derrière la folie de l’envolée du Bitcoin en décembre 2017 se trame une révolution économique et juridique portée par la blockchain. L’enjeu est de remplacer le Vieux Monde capitaliste et Etatisé par un nouveau système monétaire et un ordre juridique autonome.

Le Monde, Le Nouvel Observateur et beaucoup d’autres médias ont comparé la bulle spéculative du Bitcoin qui a dépassé les 19 000 dollars le 17 décembre 2017 à celle de la tulipe qui atteignit en février 1637 le prix stratosphérique de 10 000 florins, l’équivalent à l’époque d’une belle demeure à Amsterdam.

 

Le Bitcoin est cette monnaie virtuelle inventée en 2009 ayant une fonction de titre de paiement. Sa force, à la différence du troc ou des monnaies fiduciaires, est de reposer sur un système digital « pair-à-pair » décentralisé nommé blockchain. Cette monnaie n’est donc pas adossée à une banque centrale mais fonctionne grâce à l’interconnexion de serveurs décentralisés qui enregistrent concomitamment les échanges de monnaies virtuelles dans une « chaîne de blocs ». La valeur du Bitcoin dépend classiquement de l’offre et de la demande, relayée et structurée par les places de marché dédiées.

 

Comme toute frénésie, celle du Bitcoin a légitimement suscité la défiance en s’exposant sous son jour le plus inquiétant : une devise instable incapable de réguler l’économie réelle, voire pire, de la déstabiliser. Mais il ne faut pas jeter le bébé (blockchain) avec l’eau (effervescente) du bain (Bitcoin). Car si pour la tulipe l’envolée surréaliste du cours n’était que le fruit d’une frénésie de commerçants hollandais, celle du Bitcoin fin 2017 est la manifestation exubérante de spéculateurs étourdis par la découverte de ce que sera l’économie du futur. La révolution blockchain est en marche.

 

Le financement de l’économie est guidé par la rentabilité des fonds d’investissement (le fameux Taux de Rentabilité Interne) qui répond mal aux besoins des startups

 

A l’œuvre, la génération startup revendiquant un « way of life » sous forme de slogan : changer sa vie en changeant le monde. Or, dans ce Vieux Monde capitaliste, le financement de l’économie est guidé par la rentabilité des fonds d’investissement (le fameux Taux de Rentabilité Interne) qui répond mal aux besoins des startups. Fortes de ses génies et d’une audace sans limite, la communauté startup a décidé de financer ses rêves avec ses propres moyens : la monnaie virtuelle. Et ça marche. Les Initial Coin Offering (ICO, levée de fonds en cryptomonnaie) sont le résultat prometteur d’une des entreprises les plus incroyables de l’histoire humaine.

 

Depuis 2009, plus de 1400 monnaies virtuelles différentes ont été créées par des startups. Battre monnaie, compétence régalienne par excellence, n’est donc plus l’apanage exclusif des Etats. C’est maintenant une aventure entrepreneuriale de startupers qui ressemblent ironiquement plus aux Goonies qu’à des gouverneurs de banques centrales.

 

Quelques poignées de développeurs aguerris suffisent à fabriquer du Solarcoin, monnaie virtuelle qui valorise la production d’électricité photovoltaïque. Il existe aussi le TreeCoin qui rémunère la plantation d’arbres ou encore l’Ether de la très réputée blockchain Ethereum qui développe des smartcontracts (contrats intelligents). Toutes ces initiatives ont un but commun : valoriser le travail d’une nouvelle façon et le délivrer du capitalisme traditionnel. Des activités innovantes qui « ne rapportent pas » dans l’économie de marché traditionnelle sont ainsi récompensées par ces devises virtuelles.

 

La notion de salariat devrait en être affectée, car pour subvenir à ses besoins il ne sera plus obligatoire d’aller travailler 8h par jour pour un « patron ». Déjà, avec un « wallet » de cryptomonnaies il est possible d’acquérir une multitude de services et de biens. Les monnaies virtuelles sont devenues convertibles en euros/dollars et Amazon songe à les accepter sans conversion.

 

Dans les incubateurs de startups, il est désormais fréquent d’entendre dire : « je n’arrive pas à lever des fonds, je vais tenter de lancer une ICO ». Les ICO sont encore un peu hasardeuses, mais celles qui ont fonctionné ont été stupéfiantes : par exemple Filecoin a levé l’équivalent de 257 millions de dollars en monnaies virtuelles, Tezos 232 millions, ou encore Brave qui a levé l’équivalent de 35 millions de dollars en …moins d’une minute.

 

Si pour les journalistes du Vieux Monde le Bitcoin ressemble à une tulipe du XVIIème, il faut regarder au-delà du bulbe pour voir que les monnaies virtuelles ont été créées par les jeunes générations contre le capitalisme traditionnel qui ne les écoute pas.

 

Le droit lui aussi va rapidement changer. Car derrière ces nouvelles possibilités économiques se prépare la reine des batailles : celle des ordres juridiques. Deux piliers fondamentaux du droit positif ont toute l’attention des blockchainers : le contrat et les juridictions.

 

Le droit des contrats va changer avec les smartcontracts. Actuellement bien développés sur la blockchain Ethereum, les smartcontracts permettent d’automatiser des actions qui sont prédéfinies entre plusieurs personnes. Ils sont comme un contrat qui organise par ses clauses des obligations de faire ou de ne pas faire, à une différence près, ils sont intelligents. C’est-à-dire qu’ils s’exécutent automatiquement et n’ont pas besoin d’une tierce personne pour les interpréter puis commander les actions désirées. Ils exécutent tout cela tout seuls. Par exemple, si votre train a du retard, avec un smartcontract vous êtes automatiquement indemnisé. Avec un contrat normal, vous devrez analyser la situation et porter l’erreur à la connaissance de la SNCF, qui décidera à son tour si vous pouvez ou non être indemnisé.

 

Apparemment simple, l’impact juridique est important car les smartcontracts automatisent la vérification de la preuve d’une condition de réalisation d’une clause. Ils rendent les contrats plus fiables et moins aléatoires. Mais surtout ils importent le droit des contrats dans l’univers de la blockchain qui va progressivement générer son propre référentiel juridique. Des projets de « jugements » décentralisés sur la blockchain sont en cours et cherchent le moyen de rendre les relations tissées sur la blockchain « juridictionnalisables ». L’objet est de pouvoir résoudre un conflit portant sur un smartcontract en reconstituant synthétiquement la génétique « pure » du droit, mais sans s’encombrer d’une magistrature qui incarne le pouvoir politique des vieux Etats. Dans moins de dix ans le système juridique blockchain sera opérationnel. Les axes principaux sur lesquels travaillent les blockchainers sont : 1 l’identification d’un préjudice, 2 l’analyse de la situation par des tiers, 3 la prise d’une décision, 4 l’opposabilité de la décision, 5 la contrainte afin d’exécution.

 

Derrière ces nouvelles possibilités économiques se prépare la reine des batailles : celle des ordres juridiques

 

La blockchain est un modèle qui se veut plus efficace économiquement, restituant une véritable liberté aux individus. L’écosystème est composé de multiples communautés « hors sol » (les diverses blockchains) qui créent leurs propres systèmes référentiels de valeurs et de normes. Embryons du modèle, les monnaies virtuelles et les smartcontracts fonctionnent sans condition de lieu et de nationalité.

 

Le commerce international du vieux monde est encombré de barrières douanières, langagières et monétaires. Sur la blockchain les échanges sont globaux, homogènes et communautaires. Tout y est plus rapide, plus efficace et plus libre. A l’image du latin qui a unifié le savoir des théologiens des capitales européennes entre le XI ème et le XVI ème siècle, préfigurant la modernité occidentale, la blockchain entend dépasser les nations et leurs systèmes juridiques discordants.

 

Au centre du viseur de la blockchain, les positions dominantes du Vieux Monde, jugées désuètes : le capitalisme et l’Etat. Le premier car il concentre une forme unique de richesse, les devises fiduciaires, entre les mains de quelques propriétaires, le second car il concentre une forme unique de pouvoir, le droit positif, entre les mains de quelques hommes politiques.  A la place, la blockchain propose de créer un système complètement décentralisé où chacun peut créer librement de la valeur et de la monnaie, tout en participant à la création d’un droit sui generis. Plus qu’une tulipe, un Nouveau Monde.

 

Simon de Charentenay
Fondateur de la startup Openflow.legal
Maître de conférences en droit
Ancien avocat
Membre de Avotech et de l’incubateur du Barreau de Montpellier