L'EIRL, un dispositif en manque de succès

L'EIRL, un dispositif en manque de succès

Annoncé comme un système protecteur qui recevrait un plébiscite des professionnels indépendants, le statut d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL), émanation de la théorie du patrimoine d’affectation, peine à séduire. Le statut d’EIRL a fait son entrée dans le code de commerce à l’occasion d’une loi du 15 juin 2000[1] et est entré en vigueur le 1er janvier 2011. Il permet à un entrepreneur individuel de séparer ses actifs professionnels de ses actifs personnels, afin de limiter aux premiers les droits de ses créanciers professionnels et aux seconds les droits de ses créanciers personnels.

 

Or, alors que nous allons bientôt fêter la première année de l’entrée en vigueur du statut d’EIRL, force est de constater que les entrepreneurs n’ont pas été séduits par le dispositif. Au premier semestre 2011, 2.500 personnes seulement ont ainsi décidé d’adopter ce statut. Pour tenter de lui donner de la vigueur, Bercy a lancé une campagne d’information destinée aux entrepreneurs et a notamment mis en ligne un site dédié.

 

Ces réticences n’étonnent guère. D’une part, depuis 1925 existe déjà une technique pour séparer les deux patrimoines, avec la société à responsabilité limitée (SARL), d’autant plus que la société unipersonnelle a vu le jour avec la loi du 11 juillet 1985 à travers la forme de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL). Avec une directive de 1989[2], le droit communautaire a, lui aussi, fait le choix de la société unipersonnelle au détriment du patrimoine d’affectation en consacrant l’EURL. Le besoin de protections des entrepreneurs pouvait donc déjà être comblé par la constitution de l’entreprise en société, avec l’écran de la personne morale.


D’autre part, en cas de défaillance de l’entrepreneur, alors même que le statut d’EIRL doit empêcher ses créanciers professionnels de pouvoir appréhender ses biens privés, en pratique la protection n’est pas absolue. Par exemple, les créanciers antérieurs au choix du statut par l’entrepreneur ne subissent en principe pas l’affectation et disposent de droits tant sur les biens personnels que professionnels. Ou encore, l’entrepreneur est engagé sur la totalité de ses actifs en cas de fraude ainsi qu’en cas de manquement aux règles de la composition des patrimoines ou de comptabilité qui lui sont imposées. Ces hypothèses de perméabilité des patrimoines ne sont pas limitatives.

La séparation des patrimoines peut donc apparaître illusoire, ce qui peut expliquer les réticences. Et le faible succès de l’EIRL est sans doute amené à perdurer, celui-ci étant concurrencé. En effet, il existe depuis 2003 un dispositif protecteur par lequel tout entrepreneur peut rendre insaisissable sa résidence principale par tout créancier professionnel dont la créance serait née après la publication de la déclaration d’insaisissabilité[3]. Cette insaisissabilité a été étendue à tout immeuble dès lors qu’il n’est pas affecté à l’activité professionnelle, et est très simple à mettre en œuvre, il suffit d’une déclaration devant notaire. 


Alors que l’EIRL peine à convaincre, la déclaration d’insaisissabilité a été sensiblement renforcée par un arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2011[4]. La Haute juridiction a décidé que le débiteur pouvait opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée avant sa mise en liquidation judiciaire au liquidateur, ce qui lui permet même en cas de faillite de protéger ses immeubles privés de ses créanciers là où un statut d’EIRL laisserait libre cours à l’exploitation de ses nombreuses failles. S’il reste possible de cumuler les deux, de nombreux entrepreneurs qui chercheraient avant tout à protéger leur patrimoine privé peuvent avoir tendance à se tourner plutôt vers l’insaisissabilité étant donné la protection très forte qu’elle assure pour les immeubles privés.
 

Si le statut d’EIRL ne connait actuellement pas la prospérité, il semble pour le moins que son avenir à court terme ne soit pas plus brillant, et qu’il lui faudra encore du temps pour convaincre.


Notes

 

[1] Article L526-6 à L526-21 du Code de commerce

[2] Douzième directive 89/667/CEE du 21 décembre 1989

[3] Article L526-1 à L526-5 du Code de commerce

[4] Cass. com., 28 juin 2011, n° pourvoi 10-15.482, D. 2011. Actu. 1751, obs. Lienhard



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Article publié dans : www.lepetitjuriste.fr