Jean-Louis Scaringella. «Nous donnons aux jeunes les outils pour exercer dans un univers hyper concurrentiel»

Jean-Louis Scaringella. «Nous donnons aux jeunes                  les outils pour exercer dans un univers hyper concurrentiel»

Jean-Louis Scaringella connait bien les problématiques liées à l’insertion professionnelle. Ancien directeur d’HEC et de l’ESCP Europe, il dirige actuellement l’école de formation du barreau de Paris. Une charge lourde puisque ce sont près de 2000 jeunes avocats qui sortent de l’EFB chaque année. Nous sommes revenus avec lui sur ces chiffres et sur les nouvelles tendances qui ont cours dans la première école de formation d’avocats de France.

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Carrières-Juridiques.com. À combien s’élève le nombre d’élèves avocats à l’EFB cette année ?


Jean-Louis Scaringella. La promotion actuelle compte 1904 élèves. L’ancienne promotion, à savoir la promotion Jean-Yves Le Borgne en comptait 1670. Ils sont entre 1500 et 1600 à avoir obtenu leur CAPA en 2014.


C-J.com. De façon globale, remarquez-vous certaines évolutions ces deux dernières années ?


J-L. S. D’un côté, nous constatons un engouement très net pour notre profession. Le nombre d’admis à l’EFB ne cesse d’augmenter. Cette évolution est logique et va de pair avec la taille de notre barreau. Si certains semblent inquiets de cette croissance, nous sommes fiers de former les futurs avocats d’un barreau fort. D’un autre côté, la situation économique de notre société nous oblige à préparer la relève à exercer dans un univers difficile.


C-J.com. À propos de cet univers économique difficile, quels sont les moyens mis en œuvre par l’EFB ?


J-L. S. Nous devons préparer les avocats de demain aux nouveaux métiers. Pour cela nous avons mis en place toute une série d’enseignements sur l’avocat en entreprise, l’avocat correspondant CNIL pour leur faire prendre conscience de ce qu’est le marché concurrentiel du droit. Nous pensons par ailleurs qu’internet est une opportunité formidable que la profession doit saisir. Nous avons donc souhaité mettre en place un cours sur l’avocat connecté enseigné par Etienne Rouart.


Pour être en situation de répondre aux attentes du marché, les jeunes avocats doivent prendre l’habitude de traiter avec des directeurs juridiques dès l’école. Quatre ans après leur prestation de serment, 60 % d’entre eux réaliserons leur chiffre d’affaires avec les entreprises, les dirigeants ou les entrepreneurs. L’entreprise sera leur première cliente. Ils doivent par conséquent connaitre la réalité mais aussi les termes qui lui sont propre. L’avocat sera amené à intervenir auprès de chefs d’entreprises comme un ingénieur juridique. Nous avons donc fait appel à Anne-Sophie Le Lay, la directrice juridique du groupe Renault, pour enseigner dans le cadre du cours « le client directeur juridique ». Par ailleurs, nous encourageons les élèves à réaliser leur PPI en entreprise.


C-J.com. Pensez-vous que le statut d’avocat salarié en entreprise soit une solution pour permettre aux jeunes sortants de l’EFB de s’insérer plus facilement dans la vie professionnelle ? L’EFB doit-elle s’adapter à cette tendance qu’on les jeunes avocats à rejoindre l’entreprise ?


J-L. S. Nous savons que les jeunes sont de plus en plus nombreux à quitter la profession pour rejoindre les directions juridiques. Nous sommes de plus en plus tournés vers l’entreprise et nous enseignons à ceux qui veulent la rejoindre, comment travailler main dans la main avec les avocats.  


C-J.com. L’EFB peut-elle mettre en œuvre des moyens pour permettre d’améliorer l’insertion professionnelle des jeunes avocats ?


J-L. S. Les stages sont un des indicateurs dont nous disposons concernant l’insertion professionnelle. Nous avons aujourd’hui plus d’offres de stage que d’élèves avocats. Il n’y a donc pas de difficulté notable à ce niveau. À la sortie de l’école, le métier est dur, mais nous essayons de préparer les jeunes à la gestion de carrière en mettant en place des coachings, des forums de collaboration…


C-J.com. Les jeunes qui s’apprêtent à embrasser la profession, ont-ils selon vous une image réaliste de celle-ci ?


J-L. S. Certains élèves avocats n’ont pas forcément conscience de la dureté du marché. Ils ont une vision ancienne, et imaginent l’avocat passif attendant ses clients. La profession est aujourd’hui dans une situation extrêmement concurrentielle. Nous essayons de remettre les pendules à l’heure dès leur entrée à l’EFB avec le premier cours sur le thème de « l’avocat et son environnement ». Il est important d’intégrer cette dimension et d’orienter les avocats là où le marché est porteurs.


Concernant les attentes financières des élèves avocats nous ne leur cachons rien des difficultés du métier. Les cabinets sont des entreprises qui subissent elles aussi le sort de la crise.


C-J.com. 81% des jeunes avocats recherchent une collaboration en Île-de-France (1) ; pensez-vous que l’EFB puisse mettre en place des solutions pour encourager les jeunes avocats à partir exercer en province ?


J-L. S. Ce n’est pas le rôle de l’EFB. Quoi qu’il en soit, le problème n’est pas purement parisien. Les avocats sont là où se situe le marché. Notre réseau est large, nous diffusons des offres de collaboration venant d’un peu partout. De plus nous proposons des formations continues ouvertes à tous les avocats de France. Nous essayons d’être le plus ouvert que possible.


C-J.com. Que répondez-vous aux 30% de jeunes avocats qui n’ont pas confiance pour leur avenir en générale (2) ?


J-L. S. Ce chiffre m’interpelle. Je considère que l'école est là pour distiller de la confiance. C’est ce que nous faisons en accompagnant les élèves pour leur apprendre par exemple à s’exprimer lors d’entretiens ou encore à rédiger un CV. Nous avons mis en place un dispositif d’entraide pour créer des contacts et susciter des rencontres. L’idée est de mettre les jeunes en confiance mais aussi de leur permettre de se constituer un réseau.


Nous ne devons pas être surpris de la situation, nous sortons d’une crise de huit ans, sans précédent, qui suscite inévitablement une forme d’angoisse. Leur stresse est compréhensible, mais nous essayons de leur donner les outils nécessaires pour exercer dans un univers hyper concurrentiel.


Propos recueillis par Capucine Coquand 

@CapucineCoquand



(1) : Chiffres issus de l'étude sur la formation des avocats, réalisée par Carrières-Juridiques.com en 2014.

(2) : Voir (1)