Entretien avec Laurent Martinet, vice-bâtonnier du barreau de Paris, suite à notre enquête auprès des jeunes avocats

Entretien avec Laurent Martinet, vice-bâtonnier du barreau de Paris, suite à notre enquête auprès des jeunes avocats

Près de 3000 jeunes avocats et élèves avocats ont répondu à notre grande enquête nationale co-réalisée avec la Fédération nationale des élèves avocats (FNEA) et l’Association des élèves avocats (AEA).

Les premiers résultats ont été l’occasion pour Carrières-Juridiques.com de recueillir l’avis de Monsieur le Vice-Bâtonnier du barreau de Paris, Laurent Martinet, également président de l’EFB.

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Carrières-Juridiques.com : Notre enquête révèle un sentiment unanime ; les jeunes avocats et élèves avocats sont aujourd’hui très peu satisfaits de la formation continue. La formation globale serait inadaptée à l’insertion professionnelle. Environ 72% des élèves avocats et des jeunes avocats pensent que l’école de formation ne prépare pas bien à l’insertion professionnelle. Cela vous surprend-il ?

 

Laurent Martinet : Cela ne me surprend pas du tout. Lorsque nous étions en campagne avec Pierre-Olivier Sur pour l’élection au Bâtonnat, nous nous étions attachés à cette problématique. Nous avions demandé aux jeunes avocats de nous remettre un livre banc contenant leur lecture de ce que devrait être la profession et il en est ressorti une formation inadaptée aux attentes des jeunes. Nous avons donc travaillé avec un comité scientifique pour réfléchir à une formation en adéquation avec leurs aspirations.

 

La réforme est effective depuis le 1er janvier dernier. Nous avons mis en place de nombreux enseignements pratiques qui n’existent pas dans les enseignements universitaires. Nous avons voulu une école véritablement d’application, c’est pourquoi dès le début de notre mandat, nous avons opéré une réforme en profondeur.

 

 

C-J.com : Saviez-vous que le domaine dans lesquels les jeunes avocats ont l’impression d’avoir le plus de lacunes en sortant de l’école est la gestion de cabinet ? Qu’en pensez-vous ? 

 

L.M : Il s’agit justement d’un point qui me tient particulièrement à cœur. Il me semble fondamental que les élèves avocats suivent des cours de gestion de cabinet. Nous avons mis en place deux types d’enseignements dans ce domaine. D’une part, nous avons proposé des cours de gestion administrative qui correspondent à la gestion au quotidien et d’autre part, nous avons institué des cours de gestion stratégique de cabinet, grâce auxquels les élèves apprennent à se positionner par rapport à un client ou par rapport aux types de marchés qu’ils veulent investir.

 

Je pense, contrairement à certains, qu’il est très important que les jeunes avocats aient été sensibilisés à ces questions pendant leur passage à l’école. Ce n’est pas l’avis de toute la profession.

 

 

C-J.com : Toujours selon notre enquête, une majorité d’élèves avocats ou de jeunes avocats, seraient favorables voire très favorables à une mise en place dans la formation d’horaires aménagés pour l’organisation des cours, y seriez-vous, vous aussi, favorable ?

 

L.M : J’y suis totalement favorable. Nous essayons avec Jean-Louis Scaringella, Directeur de l’EFB, de faire preuve d’ouverture (Voir notre article Jean-Louis Scaringella, le nouveau directeur de l'EFB évoque la profession d'avocat). Nous voulons que l’organisation des cours soit la plus flexible et la plus fluide possible.

 

Nous souhaitons que les élèves avocats participent avec nous à la refonte de la formation de la profession. J’attends, d’ailleurs, avec impatience leurs retours concernant la réforme que nous avons mise en place au 1er janvier. Nous avons prévu de réunir dans ce but les représentants des élèves avocats en avril.

 

 

C-J.com : 81% des jeunes avocats ou élèves avocats qui ont répondu à notre enquête, souhaitent exercer en Ile-de-France. Quel est votre avis sur cette « hyper concentration » des avocats de demain en France, à Paris ? Existe-t’il une solution selon vous ?

 

L.M : Je regrette cette concentration car Paris n’est pas le seul pôle économique intéressant du pays. Je n’ai pas véritablement d’explication à cela.

 

L’école de formation de Paris est la seule susceptible de pouvoir offrir autant de possibilités de stages à l’étranger et d’échanges avec des écoles étrangères. Cela provoque inévitablement une rupture d’égalité avec les autres centres de formation. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer que nous ouvririons volontiers ces échanges avec les écoles internationales, aux centres de formation de province, ce qui pourrait donner envie à plus de jeunes avocats de se former  et d’exercer par la suite en province. Je pense qu’il est nécessaire d’arriver à une répartition plus harmonieuse sur tout le territoire.

 

 

C-J.com : Seriez–vous favorable à l’idée de regrouper les centres de formation ?

 

L.M : A Paris, nous sommes en train de regrouper les centres de formation des huit barreaux de la couronne parisienne. Cela pourrait correspondre à un échantillon de ce qui pourrait être fait à l’échelle nationale et permettrait une plus grande homogénéité, mais également une concentration de moyens. Ce n’est cependant pas de mon ressort, je ne peux prendre des décisions que pour le barreau de Paris.

 

 

C-J.com : Que pensez-vous de certains systèmes universitaires étrangers, selon lesquels on devient avocat à l’issue de sa 5ème année de droit à l’Université, en passant un simple examen de validation d’acquis ?

 

L.M : Ces systèmes extérieurs ne doivent pas être mauvais puisque c’est de cette façon que sont, notamment, formés les avocats américains.

 

Le système français est aujourd’hui un système unique au monde. Je pense que le passage à l’école est important, puisqu’il s’agit d’une école d’application pratique du droit. De plus, 90% des collaborations sont issues des stages. Ceux-ci permettent à la fois au candidat de savoir s’il s’agit de la structure qui lui convient et au cabinet de savoir si l’élève avocat est le candidat adéquat. C’est donc finalement une opération « gagnant-gagnant ».

 

Le passage par l’école est important, c’est un peu « l’école de la République des avocats » car les élèves y reçoivent des cours qu’ils n’auront nul par ailleurs (tels que les cours de management ou de déontologie). Elle offre également la possibilité à chacun de partir à l’étranger.

 

Je conseille aussi souvent aux élèves avocats de profiter de leur passage à l’école pour être curieux et s’intéresser à toutes les interventions de qualité qui leurs sont proposées (récemment ont eu lieu à l’EFB les interventions de professionnels comme le président de l’AMF ou encore les dirigeants de grandes entreprises telles que Renault ou encore Vinci…).

 

 

C-J.com : Vous ne semblez donc pas favorable à la spécialisation au stade de l’École…

 

L.M : Je suis contre le fait de se spécialiser à l’école. Les avocats auront tout le temps de se spécialiser une fois entrés dans la profession. En revanche, nous sommes attachés à ce que toutes les dimensions du droit soient présentes au sein de l’école, toujours sous un angle pratique. Les élèves avocats ont l’obligation de choisir deux enseignements électifs avec des matières plus spécialisées. Ces enseignements sont tous tournés vers l’international et vers le droit européen.

 

 

C-J.com : Comment voyez-vous dans cinq ans, l’avenir de la formation à la profession d’avocat, et l’avenir de l’insertion professionnelle ?

 

L.M : Si je fais une projection sur cinq ans, je souhaite qu’on ait réfléchi, avec l’Université, à un examen national et homogène. J’aimerais qu’on ait lissé au maximum les différences entre les différents centres de formation. Il faut pour la profession une formation continue, homogène, cohérente et identique partout, comme cela existe pour de nombreuses autres professions.

 

 

Nous avons rendez-vous en juillet avec Monsieur le Vice-Bâtonnier afin de connaître le premier retour d’expériences de la promotion actuelle de l’EFB.

 

 

 

Propos recueillis par Capucine Coquand, responsable presse pour Carrières-Juridiques.com

 

 

 

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