« Le droit n'est pas une savonnette » : rencontre avec Élizabeth Oster et Élisabeth Cauly, candidates au bâtonnat de Paris

« Le droit n'est pas une savonnette » : rencontre avec Élizabeth Oster et Élisabeth Cauly, candidates au bâtonnat de Paris

Visant respectivement les fonctions de bâtonnière et vice-bâtonnière, Élizabeth Oster et Élisabeth Cauly présentent leur candidature sous la forme d’un co-bâtonnat de rupture. Une rupture avec la césure qui existe actuellement entre les avocats et les institutions qui les représentent. Une rupture avec ce « cercle de l’entre-soi ».

Carrières-Juridiques.com. Quelle forme prendra cette rupture ?

 

Elizabeth Oster & Elisabeth Cauly. Nous souhaitons une plus grande transparence des comptes de l’Ordre. Un Ordre plus transparent permettra de mieux prendre en compte les besoins des confrères. L’Ordre doit être une vitrine.

 

Aujourd’hui, force est de constater que le Barreau de Paris souffre. L’avenir de la profession est en péril. On remarque notamment que l’EFB compte 70% de femmes, il y a un réel malaise avec cette profession. Les hommes ne veulent plus être avocat. Il est regrettable que ce malaise ne soit pas retranscrit dans les décisions de l’Ordre.

 

Nous souhaitons réintroduire les termes de la 3ème directive et ainsi réinstaurer le filtre du bâtonnier afin de régler certains soupçons de fraudes en interne

 

Prenons l’exemple de la 4ème directive dite « anti-blanchiment ». Ce texte, en supprimant le filtre du bâtonnier au profit de TRACFIN, constitue un échec. C’est un véritable danger qui va remettre en cause la confiance des avocats envers le bâtonnier. Nous souhaitons réintroduire les termes de la 3ème directive et ainsi réinstaurer le filtre du bâtonnier afin de régler certains soupçons de fraudes en interne.

 

L’Ordre démontre aujourd’hui son incapacité à délimiter la place de l’avocat dans la société. S’agissant du périmètre du droit, nous contestons la possibilité, offerte par la loi Macron, à d’autres professions réglementées telles que les experts-comptables de donner des consultations juridiques.

 

CJ.com. Contestez-vous l’essor des legal startups ?

 

E. Oster & E. Cauly. Absolument. Les plateformes juridiques sont des vendeurs. Or le droit n’est pas une marchandise. Cette commercialisation par des tiers non avocat  pose nécessairement un problème de garantie du secret professionnel, et de respect de la déontologie, ce qui est inacceptable. Nous ne sommes pas opposées aux plateformes numériques, mais nous souhaitons que les avocats en conservent la maîtrise.

 

Les legal startups doivent confier à l’Ordre la maîtrise de leurs logiciels. Le droit n’est pas une savonnette !

 

Le financement de procès par un tiers,  ou « champerty », selon la pratique anglo-saxonne, correspond à la phase ultime de la dérive  commercialiste du droit que nous dénonçons. La justice,  n’est plus perçue comme un régulateur social, exigence d’une société démocratique, mais, devient un actif finançable, comme un autre. Ainsi le procès est  un investissement sur lequel le financier va capitaliser, en finançant avocats, experts, agences de communication, détectives etc…

 

Il attend un retour sur investissement, qui varie de 20 à 60% des dommages obtenus ou recueillis en cas de victoire.Bien sûr cela n’a d’intérêt que si les dommages et intérêts revêtent comme aux USA un caractère punitif, qui n’est plus la simple réparation du préjudice subi.

 

On change donc totalement de paradigmes.

 

Le procès devient en effet  un actif finançable, comme un autre, et la Justice, est évidemment dévoyée de sa finalité ultime.

 

CJ.com. Le statut de la collaboration libérale doit-il évoluer ?

 

E. Oster & E. Cauly. La collaboration libérale souffre dans certains cas d’abus de la part de confrères qui en ont dévoyé le statut, c’est une catastrophe. Il faut pouvoir développer sa clientèle personnelle. Pour cela, il conviendrait de fixer un nombre d’heure maximal avec des critères objectifs, sous le contrôle d’une Commission de la collaboration et des stagiaires.

 

Nous devons mettre un terme à la collaboration « à la façon Thénardier »

 

Notamment, la publicité est aujourd’hui insuffisante. L’avocat doit pouvoir constituer son réseau et aller sur le terrain. Nous devons mettre un terme à la collaboration « à la façon Thénardier ».

 

Nous assistons aujourd’hui à une segmentation des cabinets ainsi que des revenus. Nous avons atteint les limites du Gentleman agreement. Les cabinets recherchent les bénéfices à outrance, ce qui ne reflète pas les valeurs premières de la profession.

 

CJ.com. Faut-il également s’attaquer à la formation dispensée à l’EFB ?

 

E. Oster & E. Cauly. La formation devra en effet être améliorée. Il conviendrait de développer l’expression orale. Par ailleurs, l’avocat étant un acteur majeur de la démocratie, il faut laisser davantage de place aux Droits de l’Homme. La médiation doit également être enseignée. Les jeunes avocats ne connaissant pas les règles qui gouvernent la profession, il faut instituer des ateliers de mise en situation afin qu’ils soient confrontés à des problématiques telles que la perte d’un client ou la gestion de risques de manière générale.

 

CJ.com. Qu’en est-il du statut de l’avocat d’entreprise ?

 

E. Oster & E. Cauly. Contrairement à une idée répandue, ce statut ne répond pas à une demande des avocats mais de l’AFJE, du Cercle Montesquieu ainsi que des directions juridiques des sociétés du CAC 40.

 

Ce statut dénaturerait en profondeur l’ADN de l’avocat. Sans indépendance, l’avocat n’est pas un avocat. Il s’agit d’une fausse bonne solution qui n’est pas prometteuse d’avenir pour les jeunes.

 

 

Propos recueillis par Pierre Allemand @Pierre_Ald
& Clémentine Anno @Clementine_Anno